APOLLON ϟ Who was I to make you wait ?

C'était assez... chamboulé, dans ma tête. Je m'étais sans doute montrée trop brusque. C'est vrai, quelle idiote, de l'avoir ainsi attiré comme s'il m'appartenait, comme si j'en faisais ma propriété le temps de quelques minutes, quelques heures... J'étais complètement barrée oui. Qu'on me réveille, qu'on me fasse reprendre conscience, je n'avais aucun droit sur lui, aucun pouvoir. Je n'avais pas à me permettre une telle rapprochement, c'était... proscrit. Pourtant, je l'avais fait. Envers et contre mes principes. Je l'avais fais, parce qu'au fond, je le voulais. Je l'avais touché, parce que c'est ce que j'attendais, je le savais. Alors pourquoi je m'en voulais ? Pourquoi je commençais lentement à regretter d'avoir fait ce premier pas ? C'est comme si j'étais piégée, que je ne pouvais plus y échapper, le pied précédemment attaché à la pédale d'accélération, dangereusement hors des limitations de vitesse, virant maintenant de trajectoire pour donner un coup de frein. J'avais toujours fuit les points d'attaches, les arrêts, je continuais d'avancer sans me préoccuper de ce qui se trouvait sur le chemin. Si j'osais prendre une pause, je finissais toujours par tout foutre en l'air. Il était hors de question que je me prenne encore une fois le panneau stop, panneau que je détruirais volontairement ou non. Il ne fallait pas qu'il soit ce panneau. Il ne fallait pas qu'il me freine. Il ne fallait pas que je l'encourage à le faire.

Il m'avait demandé si j'étais prête. Oui, il me l'avait bien demandé. Je croyais l'être. De quoi parlait-il exactement, lorsqu'il avait posé cette question ? Sans doute pas de ce qu'il comptait faire juste après, il n'avait pas du le prévoir. Je l'aurais senti sinon, je l'aurais deviné. Je l'aurais forcément évité. Je n'étais pas en position pour me permettre de tels écarts de conduite, aussi innocents puissent-ils paraître au premier coup d'œil. Ses yeux. Ses yeux qui s'étaient drôlement rapprocher en l'espace de quelques secondes. Pas qu'eux, d'ailleurs. Le souffle court, paniquée plus que rassurée, je n'avais pourtant pas résister. Mon assurance gagnée - que j'avais bien montré - s'était évaporée à une vitesse hallucinante, au moment même où ses lèvres avaient touché les miennes. Je ne sais pas si mon instabilité et la bouffée de chaleur soudaine qui suivirent étaient des conséquences du transplanage immédiat ou de cet acte mais... mais c'était bien là. N'ayant plus la terre ferme pour me tenir droite, je m'accrochais désespérément à lui, entourant sa nuque de mes mains en ne me gênant plus pour me plaquer contre lui. Je faisais abstraction des bourdonnements me prenant les oreilles, oubliant totalement mes cheveux trempés et ma veste abandonnée sur le sol près de l'église. Je la récupérerais quand le moment sera venu, pour l'instant j'avais d'autres choses en tête.

La douceur de ce baiser m'étonna moi-même, peut-être plus que le plaisir que j'y prenais. Non, rien ne pouvait me déstabiliser d'avantage que la sensation agréable que j'en tirais. C'était comme enfreindre des valeurs profondément encrées. Je ne ressentais pas la même chose que lorsqu'il s'agissait... d'hommes d'une soirée ou juste de passage... C'était tellement... révélateur ? Sincère ? C'est souvent suite aux actes les plus irréfléchis qu'on en apprends plus sur nous-même. Je ne savais pourtant toujours pas ce qu'il fallait que je retienne comme leçons, je ne savais plus grand chose. Même le retour au sol - de son appartement, quitte à pousser à l'extrême - ne me permit pas de reprendre le contrôle. Ce fut même l'effet inverse. Retrouvant appui, j'étais beaucoup plus à mon aise, ce qui me permit de répondre comme il se devait à ses avances, certainement trop fougueuse, trop impliquée. J'avais lâcher son cou pour attraper son col de manière à ce qu'il ne puisse pas s'échapper, mais ce fut moins qui mit fin à cette proximité - respiration oblige, au bout d'un certain temps.

Une fois la liaison brisée, je semblais prendre entièrement compte de ce qui venait de se passer. Mon front collé contre le sien, le regard perdu et légèrement tremblante, je n'avais pas réellement la force de me reculer, mais je m'insultais plus que nécessaire, intérieurement. « Je suis en train de faire une grosse connerie. » J'étais plus en train de murmurer à moi-même qu'à son intention... Je l'assumais... ou non. C'était ça le pire, le plus dur à supporter, l'indécision, le doute. Je voulais me pendre là tout de suite. Reposer en paix. EN PAIX. Jetant un regard sur les côtés, je me rendais alors compte qu'on se trouvait au milieu... du salon ? Aucune idée. C'était plutôt grand, assez bien décoré. Je n'allais pas parler tapisserie non plus, ce n'était pas mon domaine de prédilection. « Sympa, ici. » Il fallait que j'arrive à changer de sujet, si seulement je pouvais au moins m'écarter, ce serait un bon début.

Baissant la tête, le lâchant finalement et évitant avec précaution de recroiser son regard, je ne pouvais m'empêcher d'avoir affreusement chaud... Il fallait que j'instaure un périmètre de sécurité, mieux, que je parte. Que je squatte chez ses voisins. Que j'aille m'abriter sous un arrêt de bus de la capitale ou mieux, dans une bibliothèque super calme où je pourrais m'emmerder à mort et m'endormir tranquillement. « On aurait pas dû... » Oh puis merde, c'était rien non ? On était plus des gosses, on pouvait survivre, je l'avais simplement embrassé bordel. Rectification : il m'avait embrassé et je lui avais rendu la pareille, on était quittes. N'est-ce pas ? Mon dieu que j'arrête de le fixer ça allait finir par me tuer, déjà que j'étais pas mal entamée.

« Who was I to make you wait ? »

Ce baiser… c’était indéfinissable. Une impression d’exaltation sans pareille qui durait encore et encore… même si je savais que c’était comme si le temps s’était comme figé. Pour rien au monde j’aurais voulu que cela ne s’arrête. Mais est-ce que c’était ce que nous désirions tous les deux ? Même si elle s’était laissée faire, peut-être que c’était par simple politesse - même si dans ces cas-là nous n’appellerions pas cela comme ça, bien évidemment - ou parce qu’elle ne savait pas comment faire pour m’en empêcher à moins de me rendre triste. Jusqu’à ce qu’elle recommence, sûrement plus motivée que jamais. A ce moment-là, c’était le néant dans ma tête. Le trou noir. Ce qui avait bien pu nous inciter à en arriver là, je m’en moquais dorénavant. Ce qui comptait, c’était ce petit moment de bonheur, vous savez, comme lorsque vous mangez un Kinder Maxi et que vous vous retrouvez sur un petit nuage fondant… C’était ça. Du bonheur à l’état pur. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, mis à part ce petit contact physique sur mon front. Je sentais encore son souffle effleurer mon visage. Encore les mêmes frissons. Décidemment, je ne savais vraiment pas comment elle faisait pour me mettre dans de tels états ; moi qui n’ait absolument pas l’habitude de mettre à nu mes émotions, je pouvais malheureusement sentir cette sensation de gêne - d’intimidation - ainsi que mes joues qui ne tardaient pas à rosir légèrement. Elle allait forcément remarquer, mais c’est dans notre nature humaine ; et il ne faut pas aller contre sa nature, bien évidemment. Je souriais. En plongeant de manière désirable mon regard dans le sien.

… jusqu’à ce qu’elle se mette à l’éviter, mon regard. Quoi ? Mais pourquoi, qu’est-ce que j’avais fait de mal ? Alors voilà, je les avais mes réponses : elle n’en avait pas envie, c’était juste de la politesse. Mon petit nuage fondant c’était transformé en un nuage d’orage. Je n’irais pas jusque dire que tout avait basculé en l’espace de quelques gestes, mais c’était tout comme. Cependant je ne le montrais pas ; je gardais cet odieux sourire figé sur mes lèvres - bientôt on comprendrait qu’il resterait crispé, forcé. Une connerie ? Oui, peut-être. Sûrement, même. Or ça c’était passé, on avait franchi le pas, mais encore une fois je préférais rester indifférent à cette réflexion plutôt que de dire quelque chose que je n’étais pas sûr de penser et que j’allais forcément finir par regretter. Nous en étions presque revenu au point de départ ; même ambiance gênée. Et puis bam, changement de sujet. C’était sympa chez moi. Ce n’était pas du tout la réplique que j’attendais, en réalité. Plutôt un « woaw » ou quelque chose dans le genre ; quelque chose qui me permettrait d’y repenser encore une fois et d’avoir un sourire disons.. un peu plus naturel. « Ouais, merci. » Dans un soupir plutôt plat, une réponse prononcée sur un ton bien plus que monotone, j’avais totalement oublié que je ne voulais pas qu’elle voit que j’étais déçu. Mais ma voix m’avait trahi. Foutue voix.

Le périmètre de sécurité avait de nouveau été installé entre nous. Nos têtes respectives avait été baissées. En même temps. Alors voilà, tout s’effondrait alors que cela n’avait même pas encore été accompli. Juste pensé. Et encore… Je voulais m’asseoir, penser à autre chose. Me servir un bon verre de whisky et noyer mon chagrin d’amour. Même si je savais pertinemment que ce genre d’ennuis savait nager. Oui bon j’exagère un peu beaucoup sur les bords, mais je dois avouer que je désirais vraiment m’assoir, respirer un bon coup. Mettre Ivy à la porte ? Surtout pas. Même si l’erreur s’était en quelques sortes produite, nous pouvions nous parler. Oui je sais je pars d’un point de vue assez pessimiste, mais c’est en ayant de point de vue-ci qu’on ne tombe pas de bien haut. Mais après tout, je n’en étais pas amoureux ! C’était à peine je la connaissais. Entre nous il n’y avait qu’un différent. Aucun point positif. Alors si cela venait à mal tourner, je savais que j’allais l’oublier sans grande difficulté. Bref, je m’asseyais sur le canapé qui se campait non loin de là où nous avions atterri. Ivy face à moi. Sans jamais oser la regarder. De peur de recommencer. Mais non de dieu Apollon c’est quoi ton problème ? « Hum.. Je suis désolé. De t’avoir infligé ça. » J’avais du mal à aligner une phrase correctement, bien trop gêné. Confus. Rongé par la culpabilité. Et j’en passe.

Dites moi que je rêve. C'est sans doute ça ouais, je suis en train de me faire des films, tout ça c'est pas réel. Il peut pas réellement avoir dit ça. Il s'excusait ? On en était à ce point, donc ? Aux "Je m'en veux", "Pardonne moi", "C'est une erreur" ? J'avais commencé, oui. J'avais parlé de connerie. J'avais osé prendre la parole et prononcer ces mots cash, bruts, coupants. Je fais une connerie. J'en faisais une en parlant. J'avais envie de m'étrangler, de m'asseoir par terre et de me lamenter, de taper dans quelque chose pour décompresser. Trop de... tension. Il était où, le bouton pour que ça arrête de s'étirer ? J'avais un élastique à la place du corps. C'était douloureux. J'étais cloîtrée dans cet espace délimité - mon organisme - avec l'envie folle d'en échapper. Chose impossible. J'étais condamnée à devoir supporter ce constant sentiment d'insatisfaction que moi-même je ne définissais pas toujours. J'ignorais ce que je voulais, j'étais lunatique à mourir, invivable. Je plaignais franchement ceux qui devait me supporter.

Les lèvres pincées, je n'arrivais pas à détourner mon regard alors que lui semblait vouloir éviter tout contact visuel. J'étais vraiment conne. Je l'avais cherché, non ? Je l'avais tenté, il avait craqué, je n'allais pas l'engueuler pour ça. De plus, j'étais chez lui. Je devais être une invitée exemplaire. Pas de crise comme tout à l'heure. Pas d'énervement. Pas de reproches injustifiés. Je devais arrêter de perdre mon temps en me tourmentant sur des idioties de la sorte, je valais mieux que ça. Lui aussi, je suppose. Ne me décalant pas, restant face à lui, l'obligeant presque à se confronter à ma vue au moindre hochement de tête, je m'éclaircissais la gorge, plus pour me donner une certaine consistance que par réel besoin. « Tu n'as pas à te sentir coupable après un geste pareil c'est... » Naturel ? Humain ? Compréhensible vu à quel point je suis irrésistible ? Hum, aucune de ses réponses ne semblaient approprié. « Je ne t'ai pas repoussé non plus. » Constatation vraiment nécessaire, bien sûr. Il l'avait bien remarqué que j'étais réceptive à son intention. Je me serais cassée depuis longtemps, autrement. Il ne m'avait pas viré, ce qui était un bon point pour moi, en fin de compte. Je ne l'avais pas totalement vexé. Certes, son égo devait avoir prit un coup, il était loin d'être... d'être du genre repoussant. Dans d'autres circonstances, je ne lui aurais rien refusé. Je l'avais déjà fait avec bien d'autres. Cependant, quelque chose m'empêchait de m'aventurer sur ce terrain avec lui, comme si... comme si je n'avais pas le droit de lui faire ça.

Non, ne te met pas à pleurer, triple idiote. Ne repense pas à tout ça. Il va finir par te prendre pour une folle bonne à enfermer avec tes sautes d'humeurs. Tu pètes un câble, tu joues la tentatrice, ensuite tu fais ton Calimero ? Sérieux, ressaisis-toi. T'as aucune raison d'avoir des hormones aussi perturbées, t'es pas enceinte à ce que je sache ! Calm down. Tout de suite. « C'est juste que... » Pourquoi ce besoin de m'expliquer ? J'ai peur de le blesser à ce point ? C'est bien la première fois que je me soucie de quelqu'un d'autre tiens. « Je n'ai pas envie de me servir de toi. » Ça, c'est fait. Je passe non seulement pour une profiteuse mais aussi pour une salope de premier plan. La sincérité ne me va vraiment pas, ça ne correspond pas à mon tempérament. Pourtant, je ne faisais que mettre en paroles ce que je pensais. Je ne voulais pas faire l'agréable et délicieuse Ivy le temps de quelques heures avant de retourner à ma morosité. Essayer de laisser de côté tout cet aspect dramatique m'habitant grâce à lui, ce serait faire preuve d'égocentrisme. Je ne savais pas ce qu'il voulait, mais j'étais presque persuadée qu'être mon échappatoire de la soirée ne lui conviendrait pas. Qui aime servir d'objet, sérieusement ? Je pouvais jeter de simples inconnus comme des marionnettes, pas Apollon. Je ne le connaissais pas si bien que ça mais... L'idée de me jouer de lui me faisait mal, légèrement.

« J'ai tendance à détruire tout ce que je touche, je préfère t'épargner. » Rire nerveux. Main passée dans les cheveux trempés et collants. Légers tremblements. Les confessions non plus, je n'y étais pas habituée. Pourquoi aujourd'hui ? Si j'avais su, je me serais préparée avec une lettre déjà toute faite pour avouer tout mes tords. Levant les yeux au plafond pour retenir mes larmes involontaires, je secouais légèrement la tête avant de l'observer à nouveau. Il était vraiment mal tombé avec moi. « Hum... Je crois que je vais finir par inonder ton appartement. » Remarque bien éloignée du sujet de conversation de base. Je venais juste de remarquer que mon jean trempé n'épargnait pas le sol du salon. Je le dérangeais bien assez comme ça, je ne voulais pas non plus détruire son logement, ce serait le comble. Je me sentais presque de trop ici, comme si j'avais pénétré un territoire ennemi ou déjà occupé. C'était une sensation étrange que de se retrouver où... où il avait vécu avec la famille qu'il avait fondé avant... avant de la perdre. Outch, j'avais réellement l'impression de mal agir, d'avoir un comportement malsain. Je salissais cet endroit avec mon aura dévastatrice. A parler de moi comme ça, j'ai l'impression d'être la fille du Diable, c'est effrayant.