Lorsque tout devient noir ...
Observant l'aurore se lever comme un
frippe-lippe ingurgite la moindre miette, je marchais tranquillement au bord de l'eau. L'air encore humide de la rosée qui se levait à peine, le ciel cependant se teintait d'orange et de bleu, créant une atmosphère toute particulière, et tout aussi étrange. Le spectacle était saisissant. Les arbres m'environnaient, et l'éclat de la lumière qui se reflétait dans l'eau attirait mon attention à chaque instant. Je me tins immobile, restant calme afin de me fondre dans le décor. Ainsi passèrent plusieurs minutes, durant lesquelles j'imaginais toutes sortes de créatures sortir des bosquets alentours. Cerf allant s'abreuver, lièvre gambadant avec toute la gaieté qu'inspirait son attitude, ou encore un loup regagnant sa tanière, ayant trop tardé la veille à sa chasse nocturne.
J'observai cette nature depuis de nombreuses heures sans me soucier du temps. Le paysage était digne d'inspirer les plus beaux vers de poésie. Je me souviens que lorsqu'on lit des poèmes, la nature nous paraît plus vivante, plus enivrante qu'elle ne l'est réellement.
" Dans la poésie, la vie est encore plus vie que la vie même " diront certains. Je n'en étais pas sûr, mais après tout, chacun est libre de penser ses propres opinions.
Comme un hasard surprend l'être humain, mon regard se posa sur une
salicaire, d'un rouge magnifique. Sa silhouette ondulait, et le reflet qu'elle projetait dans l'eau était semblable une feuille qui s'échappe de l'emprise qu'avait une branche sur sa frêle racine, diluant la couleur de la moindre pétale dans une eau qui s'aventurait beaucoup trop loin pour que tout mon regard puisse embrasser sa destination.
Puis, alors que la nature semblait si calme, j'entendis un bruit. Ce craquement si caractéristique d'une branche qui se casse lorsque l'on y exerce une pression trop forte. je relevai la tête d'un geste vif, me tirant rapidement de mon assoupissement léger. Je ne compris pas pourquoi j'eus le réflexe de me transformer. Du moins ne transformer que mon cou. Il était prêt à me défendre s'il le fallait. Cependant, ce que je vis m'ôta toute bonne humeur. Une jeune femme, à moitié dénudée courait pieds nus de l'autre côté de la rive. Elle écrasa au passage la salicaire, dont le rouge s'étala par terre, comme si quelqu'un agonisait. Elle semblait
horrifiée. Et je ne tardai pas à voir pourquoi. Plongés dans leur traque, ils ne m'avaient même pas remarqué. Un groupe de quatre hommes poursuivaient la jeune femme. En plus de cela, ils n'avaient pas l'air commode. Des Raffleurs. Je déteste ces types-là. Me transformant complètement, je plonge tout de suite dans l'eau. Je n'ai quasiment fait aucun bruit. Et cela m'aurait étonné qu'il m'ait remarqué, vu le bruit qu'ils faisaient et que leurs yeux semblaient ne pas quitter leur cible des yeux. Ils étaient comme des chiens affamés de viande. Non, c'était pire même. Quoi qu'il en soit, ce n'était plus des humains. Ils n'étaient dirigés uniquement par leur instinct primaire, celui de se faire plaisir en plaisante compagnie. Le comportement même qui me répugnait.
Furtivement, j'avais repris pied sur la berge, et m'élançait aussitôt sur l'objet de ma colère. J'agitai ma baguette, la pointant sur un des poursuivant, et l'attirai vers moi. Sans qu'il ait eu le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait, je l'embrochai avec ma pointe extensible de mon cou, aussi dure que du métal. Je la lui plantai en plein cœur, ce qui lui promettait une mort rapide. Encore une chance pour lui, car j'aurai pu décider de le faire souffrir pour qu'il médite sur ce qui lui était arrivé et pourquoi. Ils m'avaient
malencontreusement pour eux irrité et croisé mon chemin, fait des actes que je ne tolérai pas, à présent ils allaient en payer le prix. Enfin, ils s'aperçurent que quelque chose n'allait pas.
Ce qui paraissait être leur chef cria des ordres, et tout en courant continua son chemin. En revanche, les deux autres se retournèrent d'un bloc. Et l'un d'entre eux tomba à terre d'un bloc aussi, car je ne lui avais pas laissé le temps de me voir qu'un éclair vert le percuta en pleine poitrine. Je n'avais pas le temps de m'arrêter pour faire des sentiments. L'autre fut plus coriace, mais il ne fit pas long feu. Lorsque les sentiments de justice anime un homme, soit ils le mènent à la mort, soit ils le mènent à la victoire. Aujourd'hui était un jour où ils me menèrent à la victoire. Le deuxième homme se prit un uppercut en pleine machoire, tandis que d'un geste vif je lui lançai un autre sort mortel qui l'atteignit à la taille et l'accompagna dans sa chute.
Je rattrapai le chef. Le dernier en lice de me vaincre poussa une
vitupération plus gutturale qu'autre chose. Il était sur les talons de la jeune femme. A court de souffle, elle allait s'effondrer d'un moment à un autre. Cela se voyait dans sa course.
Mes vêtements mouillés me retardaient un peu, mais j'étais plus en forme que le Raffleur qui devait sûrement courir depuis plus longtemps que moi. Je parvenai à le rattraper en lui lançant un stupéfix dans le dos. Il tomba et resta paralysé. J'avais le choix entre le tuer ou le laisser en vie et emmener la jeune fille au plus loin. A présent que je me remémore cet instant, je me suis dis qu'une expérience devait nécessairement être vécue pour qu'à jamais ce que l'on en a tiré reste à jamais gravé dans notre mémoire. Je crois que c'est à cet instant que je compris cela.
J'avais poursuivis la jeune femme, qui se démenait avec l'énergie du désespoir. Je perdis ma transformation, pour éviter de lui faire plus peur. Elle me criait de ne pas m'approcher, et à l'entente d'un sort je me jetai sur elle pour la protéger. Le Raffleur résistait bien aux sorts, ce qui ne m'enchantait guère. La jeune femme se débattait, croyant que j'allais lui faire du mal alors que je voulais la protéger. Je la rassurai comme je le pus, et elle se calma immédiatement. En lui faisait signe de se taire, je l'incitai à me suivre dans les bois, pour distancer le Raffleur plus facilement, en brouillant les pistes. Du moins l'espérais-je. Malheureusement, la jeune femme était à bout de force. Si elle voulait s'en tirer sans dommage, il me fallait la porter. Je la pris dans mes bras, et à la manière d'un mari prenant sa mariée, je l'entraînais dans les sous-bois, distançant chaque minute le Raffleur. Plus le temps passait, plus j'arrivai à le distancer. Je montai sur une pierre et la fit léviter. Je la dirigeai le plus vite possible dans une zone plus éloignée, sur notre droite, afin que le Raffleur ne retrouve pas notre trace. J'atterris plus loin, et entreprit d'élever toute sorte de protection magique.
La jeune femme, frissonnait, et son corps fut bientôt prit de légers tremblements. Je pris ma veste, la fit sécher par un sort de chaleur rapide, et entreprit de lui enfiler. Elle ne faisait rien pour m'arrêter. Je pouvais lire sur ses traits la tristesse et la fatalité de mourir. Elle posa ses yeux sur moi, le regard empli de joie et de lassitude à la fois. Je connaissais que trop bien ce regard. Je l'avais vu de trop nombreuses fois en si peu de temps. C'était le regard de ceux qui savaient qu'ils allaient mourir, ou qui avait vu leur destin en face les emporter de peu. D'une voix faible, mais douce, elle attira toute mon attention.
" - Je ne sais pas si vous m'avez sauvé par intérêt ou par gentillesse, en tout cas je vous suis reconnaissante. Mais si jamais je ne survis pas, je vous en prie, allez voir mes parents, et expliquez-leur ce qu'il s'est passé. J'étais leur prisonnière, ils m'avaient désarmés et je ne pouvais rien faire ... Ils m'ont retenu dans leur cage pendant quatre jours, le temps de me faire souffrir autant mentalement que physiquement. Je ne sais plus comment j'ai pu leur échappé. Ce que j'aimerai, c'est que mes parents puissent savoir ce qu'il m'est arrivé.
- Vous êtes toujours-là, n'ayez rien à craindre, je ferai en sorte que vous reverrez vos parents. Dites-moi comment vous vous appelez plutôt. Restez avec moi, vous allez vous en tirer.
- Akira. Mes parents habitent au nord de Londres, dans l'une des plus grandes maisons, vous les trouverez facilement. Il faut que... vous les in...formez...
- Restez avec moi et tout ira bien je vous l'assure. Tenez le coup. "
Mais j'aurai bien dû me taire sur ce compte là. Les barrières cédèrent une à une, sous les coups rageurs du Raffleur. Je réagis vite. La prenant comme précédemment, ma veste sur son dos en plus, je filai vers la rivière. J'aurai sûrement plus de chance de lui échapper. Et je ne me trompai pas. Pris par surprise, il perdit de précieuses secondes à nous regarder nous enfuir, ébahi. J'en profitai pour gagner la rivière.
Je la tenais toujours entre mes bras, accroupit et un genou à terre. Elle risquait de ne pas survivre si je ne me dépêchais pas. J'allais plonger dans l'eau, mais à mon étonnement, Akira y opposa une légère pression. Je me retins dans mon geste.
" - Ce n'est pas la peine. J'ai de plus en plus froid. Je crois qu'ils m'ont fait avalé une substance toxique pour mon corps, qui a agit tout doucement. Je ne survivrai pas. Autant me laisser là et partir avertir mes parents de ma mort.
- Certainement pas. Même si vous mourrez, je ne laisserez pas cet abruti vous faire souffrir sur votre lit de mort. "
Je lui souris, bien que la situation ne soit pas vraiment excellente pour un tel geste. Elle me renvoya un sourire, qui se voulait tout aussi resplendissant que le permettait la situation. Je crois qu'à cet instant, ma plus grosse erreur avait été de faire un tel geste alors que le Raffleur nous poursuivait.
Un éclair vert frappa la jeune femme dans les côtes. La vie l'abandonna immédiatement après. Un léger sursaut, un violent tremblement, un dernier soupir, puis les yeux d'Akira fixèrent le ciel pour l'éternité. Tout d'abord pétrifié, sans pouvoir faire quoi que ce soit, je réalisai ce que venait de faire le Raffleur. Il vint poser sa baguette contre mon cou qui se transformait graduellement. Un petit rire sournois et pervers sortit de ses entrailles.
" Qu'est-ce que cela peut être passionnant de voir un être aussi naïf essayer de sauver une de nos proies ! Je dois dire que tu n'as pas été quelqu'un e facile, et tu m'as bien contrarié en tuant ces trois bons à rien, mais tu m'as peut-être rendu un très grand service. Au moins tu auras pu la voir mourir devant tes yeux sans rien faire. Ta tentative se retrouve vaine. Maintenant prépares-toi à subir le même sort. "
Il leva sa baguette pour me jeter le sort tant désiré. Mais il s'interrompit lorsque je déclarai d'une voix monocorde :
" Je dirais que c'est toi qui devrait te préparer à subir le même sort. "
Il sourit pensant que je mentais et s'apprêta à finir son geste. Mais il n'en eut jamais l'occasion. Ma pique extensible le traversa au niveau de son bassin et se retira aussitôt qu'elle était venue. Il s'écroula dans un cri de douleur insupportable. Toutefois, je me relevai et pointai ma baguette vers lui. Le visage inexpressif, je lui lançai plusieurs fois le sort Impérium. Une, deux, trois, quatre, cinq fois. Pendant de longues minutes, je le laissais se tordre sous la douleur, étant à peine à son écoute. C'est comme si j'étais absent, simple spectateur de la scène, et non acteur. Je crois que je ne réalisais pas.
A la fin, alors qu'il n'en pouvait plus, qu'il me demandait grâce, que son bassin saignait abondamment, j'exécutai ses dernières volontés. Un éclair vert le frappa et le tua sur le coup. D'un coup de pied, je poussai le corps dans la rivière. Aussitôt, il s'éloigna, une trainée de sang dans son sillage. J'observai le corps dériver, sans rien faire de plus. Je m'étais laissé emporté par une rage soudaine, qui devrait à l'avenir ne plus se reproduire. J'avais laissé ma colère prendre le dessus. Ce sentiment que j'avais vécu là me servirait de leçon pour les morts que je devrais voir tomber sous mes yeux à l'avenir. Je décidai de me remettre en marche, le ciel ayant drôlement changé...
Qu'ai-je fais par la suite ? J'ai pris le corps de la jeune femme, Akira. Je l'ai nettoyé, correctement, faisant attention à la moindre parcelle de sa peau. D'un coup d'œil j'avais aperçu un salicaire ne poussant pas très loin de l'endroit où elle était morte. Délicatement, je lui déposai la plante entre les mains, en signe de pureté, du moins je m'en convins. Je me rendis ensuite en transplanant dans les environs qu'elle m'avait décrite, et je me présentai à ses parents, une fois que j'avais trouvé la maison. Inutile de dire que je subis leur cri d'injustice, de désespoir, d'anéantissement. La mort d'une innocente durant une guerre est toujours dure à subir, la vivre de près est un souvenir qui vous hante jusqu'à la fin de vos jours.
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J'ai "légèrement" fait trop long, et je m'en excuse. Mais je me sentais inspiré, et je voyais mal couper ce que j'avais en tête en deux. J'espère que cela te surprendra Jade.