[Terminé]Evil is a point of view...[FE]Alienor

Evil is a point of view...
Elinor Thorpe & Aliénor de Maurpassant

Il est des moments dans l'éternité de l'existence, où l'on recherche un peu de compagnie. Aliénor n'était pas de celles à se morfondre sur les questions fondamentales de la vie, elle n'était pas un vampire pleurnichard. La vie pour elle était une successions de rencontres et de repas incessants, quelquefois entrecoupés par des danses ou de douces symphonies au piano. Elle ne se repentissait de rien, n'avait foi en rien à part elle-même, et c'était très bien comme cela. Pourtant, il arrive un moment où on souhaite partager son savoir, on cherche une oreille attentive prête à tout assimiler. Elle avait déjà trouvé cet apprenti idéal par le passé, un jeune homme curieux de tout qui, de surcroit, ressemblait étonnamment à son frère lorsqu'elle était mortelle. Elle s'était enflammée, l'avait transformé trop rapidement en créature de la nuit, et l'avait amèrement regrettée de nombreuses fois, même s'il gardait une place fondamental dans son "coeur". Malgré tout, elle ne le voyait que rarement, car trop incontrôlable. Elle s'était rendue compte qu'ils étaient mieux séparés. Ce n'était pas pour autant qu'elle ne mordait pas la vie à pleines dents.

D'ailleurs, elle avait jeté son dévolu sur une toute jeune fille très attirée par le Mal, une certaine Elinor Thorpe. Toute l'ironie était là, car en la côtoyant, la vampire s'était rendue compte qu'elle avait très bien connu son père au point de l'avoir rendu fou. Elle l'avait tué pour abréger ses souffrances, le pauvre. D'un autre côté, le fait de voir Elinor de temps en temps créait une sorte de malaise en elle, une espèce de culpabilité, car elle savait qu'elle était devenue orpheline par sa faute. Habituellement, elle ne créait aucun lien particulier avec la famille de ses victimes, pour éviter de se poser trop de questions, mais elle ne savait pourquoi, elle aimait la compagnie d'Elinor. Il faut dire que beaucoup de choses avaient changé durant l'année passée... Elle se sentait différente. Plus... humaine. Elle avait tout d'abord exécré cette éventualité, puis s'était aperçue que cela n'avait rien de honteux ni d'humiliant. Il était naturel pour un vampire de changer quelque peu de personnalité au cours des siècles. C'était le fait de rester immobile sur la ligne du temps qui les rendait fous. Elle en avait vu beaucoup d'exemples...

Alors, elle ne repoussait pas les sentiments un peu coupables qu'elle ressentait envers Elinor. Elle pensait qu'ils étaient salutaires au final, qu'ils lui permettraient d'avancer. Et puis, le fait de vouloir l'initier aux joies de la torture compensait ce qu'elle avait fait à son père, n'est-ce pas ? Persuadée de cette idée, Aliénor avançait donc l'esprit léger vers le petit village dans lequel elle lui avait donné rendez-vous. Il était perdu dans la campagne anglaise, encaissé entre plusieurs prairies et forêts charmantes. Un décor de rêve pour éviscérer et mutiler tout à loisir.

Pour l'occasion, Aliénor avait revêtu une longue robe en satin bleu foncé, dont le corsage était entrecoupé de fils argentés. Le vent caressait sa poitrine et ses épaules nues, et elle inspirait sereinement le doux parfum des mortels bien à l'abri dans leurs petites maisons si fragiles. Ses longs cheveux flottaient librement derrière elle, seulement retenus par un diadème en argent lui aussi. Elle n'aimait pas passer inaperçue, ce n'était pas drôle, sinon.

En approchant de la bâtisse abandonnée et délabrée, elle aperçut Elinor, sa baguette pointée sur un homme à terre qui se tordait dans tous les sens. Hum, elle ne l'avait pas attendue. Mais ce n'était pas grave. L'impatience est une vertu. Elle s'avança un peu plus, et lui sourit aimablement en la voyant s'adresser à elle. La jeune fille était l'une des seules personnes à la tutoyer, et la vampire ne s'en formalisait pas. C'était l'impétuosité de la jeunesse ! Et puis, elle était tellement douée que ce n'était qu'une broutille. S'approchant de l'homme à terre, elle esquissa un sourire carnassier avant de se redresser pour lancer un regard satisfait à Elinor.

"Bien, très bien." dit-elle sur le ton d'une professeur particulièrement fière de son élève. "Veux-tu que nous nous entraînions sur lui ?"

Cette phrase, mal interprétée, aurait pu paraître très étrange et même assez perverse, mais Aliénor proposait juste de lui montrer comment le faire souffrir davantage.

"Chez les vampires, jouer avec sa nourriture est une qualité très appréciée." dit-elle d'une voix posée. "As-tu déjà goûté la chair humaine ? C'est une simple question."

Parfois, entre deux paroles, Aliénor lançait des regards en biais à Elinor, essayant de distinguer une quelconque faiblesse chez son élève. Cette fois-ci, elle voulait prendre son temps. Elle voulait être certaine qu'elle serait digne d'être une créature de la nuit. La pauvre enfant avait-elle une idée de la finalité de ces leçons de choses ? Aliénor n'aurait su le dire, mais elle était persuadée de lui offrir un somptueux cadeau en la transformant, si elle en était digne.

Cette jeune personne l'étonnerait toujours. Elle ne reculait devant rien, relevait chaque défi avec brio, ne s'arrêtait jamais en chemin. C'était comme si elle ne possédait pas vraiment de conscience, ou qu'elle avait endormie celle-ci avec du chloroforme pour l'empêcher de la freiner dans ses actes. Elle était vraiment très surprenante... Aliénor se retrouvait un peu en elle, dans sa jeunesse, alors qu'elle venait de devenir vampire. Elle avait alors développé un goût prononcé pour la sauvagerie et la torture. Elle se délectait de voir souffrir ses victimes, elle en rajoutait rien que pour le plaisir... Oh, bien sûr elle le faisait toujours, mais elle avait certaines limites qu'elle respectait. Avec le temps, tout ceci commençait à devenir une habitude, elle était donc un peu moins motiver à torturer, même si cela restait l'une de ses activités favorites.

Une chose par rapport à Elinor lui intimait de prendre garde : cette jeune femme avait beau démontrer qu'elle était tout à fait monstrueuse dans ses actes, elle n'était encore qu'une mortelle. Comment parvenait-elle à exacerber une telle haine alors qu'elle possédait encore une âme ? Qu'adviendrait-il d'elle si elle devenait une créature de la nuit ? Deviendrait-elle un monstre, un fardeau plus qu'une aide ? Aliénor ne souhaitait pas commettre les mêmes erreurs que par le passé, elle cherchait d'abord à savoir si la jeune femme était contrôlable d'une quelconque façon. Malgré tout, elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire ravi en la voyant prononcer un "Diffindo" sur le pauvre homme. Elle prenait des initiatives, c'était prometteur. Avec une impatience non dissimulée, elle demanda à la vampire si elle pouvait boire le sang qui s'échappait du bras du Moldu, mais avant qu'elle n'ait pu esquisser un geste, Aliénor l'arrêta en posant sa main glacée sur son poignet.

"Non." murmura-t-elle. "Pas tout de suite."

Elle marqua une pause, le temps de lancer un regard entendu à la jeune fille, puis poursuivit d'une voix légèrement plus forte :

"Ne t'empâte pas la bouche avec ce sang de mauvaise qualité. Il te resterait sur l'estomac. Un humain ne peut boire de sang que dans une seule circonstance..."

Soulevant la manche ample de sa robe, elle découvrit son avant-bras. Là, elle sortit un petit poignard en argent d'une petite pochette qu'elle portait à la ceinture et l'approcha de son poignet. Elle ne fit pas une entaille profonde, mais suffisante pour que le sang s'écoule avec une lenteur exquise. Aliénor resta un instant hypnotisée par sa propre hémoglobine puis cilla légèrement. Elle tendit alors son poignet ensanglanté à Elinor, enveloppant la jeune femme d'un regard perçant.

"Alors, qui choisis-tu ? Mon sang ou le sien ? Tout est une question de goût, en somme... Je ne pense pas me montrer trop prétentieuse en avançant que le mien est nettement meilleur. Mais à toi de décider..."

Elle eut un petit rictus, attendant sa réaction. Aliénor n'était pas sotte, elle savait très bien que si Elinor choisissait de boire à la source même de sa "vie" maudite, elle commencerait le processus de transformation. Mais ce serait à la vampire de décider si elle la saignerait par la suite afin de lui offrir l'éternité. Tout est toujours une question de choix, et la vampire était miséricordieuse : elle laissait la décision à la jeune fille. Elle lui accordait le choix qu'elle n'avait jamais eu... ( )

Cette petite avait du cran. Trop, peut-être. Aliénor enveloppa d'un regard tendre cette jeune femme à peine sortie de l'enfance qui désirait mordre à pleines dents les démons de l'enfer. Quelle folie... La vampire ne comprendrait jamais la raison qui pouvait pousser un mortel à devenir une créature de la nuit. D'ailleurs, ce genre de vampires qui naissait à partir d'un humain qui souhaitait mourir donnait rarement un résultat satisfaisant. Soit il déprimait en se rendant compte que l'immortalité était finalement bien décevante, soit il devenait fou et incontrôlable. Aliénor ne voulait pas d'un nouveau-né qui soit l'un ou l'autre. Elle désirait une personne complémentaire, quelqu'un qui pourrait raviver la flamme de la fantaisie, lui rendre son insouciance.

Pour le moment, Elinor démontra une grande détermination lorsqu'elle pencha la tête vers son poignet offert. Devant tant de dévouement, Aliénor décida de tendre davantage son bras vers elle afin qu'elle n'ait pas trop à se baisser, lui montrant ainsi qu'elle la considérait pratiquement comme son égale. Pratiquement... Puis, elle sentit la chaleur de sa main sur son bras, la douce caresse de sa bouche sur sa plaie ensanglantée. Aliénor ferma les yeux et se mordit les lèvres. La douleur avait un doux parfum grisant. Il ne lui arrivait pas souvent de se blesser, mais elle se délectait de ces moments dès que cela lui arrivait, que ce soit volontaire ou non. Quelque part, elle se souvenait de sa vie humaine lorsqu'elle ressentait une souffrance physique. Ce n'était pas honteux, c'était un moyen de se renforcer face à l'adversité, de tester son seuil de tolérance. Inutile de préciser que la petite entaille à son poignet était à peine sensible, l'équivalent d'une petite écharde dans le doigt d'un mortel.

"Tout doucement, ne bois pas trop vite. Tu risques de t'étrangler." lui conseilla la vampire.

Elle souleva les paupières et baissa le regard pour observer Elinor. Elle ne fut pas étonnée de voir que la jeune femme ne "buvait" pas littéralement la substance écarlate, car les mortels ne le pouvaient pas sans ressentir une intense envie de vomir. Elle se trempait les lèvres, tout au plus, mais c'était suffisant pour une première impression. Aliénor patienta encore quelques secondes puis éloigna lentement son poignet, posant une main sur la sienne pour l'enlever délicatement de son bras. Elle esquissa un sourire attendri en découvrant que la bouche de la jeune femme était peint d'un rouge exquis, et eut l'envie folle, pendant un court instant, de fondre sur elle pour l'embrasser. Mais peut-être aurait-ce été trop pour cette enfant, il fallait la ménager. Aliénor elle-même ne savait pas si elle en avait véritablement envie, c'était juste tout ce sang qui lui montait à la tête... D'ailleurs, elle se sentait très faible, même si elle avait perdu peu d'hémoglobine. Elle jeta un rapide regard au Moldu pratiquement mort qui gisait à ses pieds, puis se réinteressa à Elinor, un sourire en coin passant sur son visage :

"Alors, ai-je bon goût ?"

En attendant une réponse de sa part, elle s'empressa de tendre la main pour soulever le pauvre homme par le col et là, une fois devant elle, lui fit pencher le cou de force pour y planter ses crocs. Tout se passa très vite. Après tout, se sustenter était devenu une habitude chez elle. Une fois qu'elle eut bu tout le sang nécessaire, elle laissa tomber le cadavre sans un égard et se tourna de nouveau vers Elinor.

"Nous avons le même rouge à lèvres." dit-elle avant d'éclater de rire, tout en passant l'index sur ses lèvres rougies de sang. "Je ne pouvais plus supporter de le voir respirer." ajouta-t-elle en lançant un regard dégoûté au corps inerte. "Nous te trouverons un autre jouet, si tu le veux."

Elle lui prit la main avec une douceur inattendue et se contenta de l'observer, guettant le moindre signe de faiblesse. Etait-ce possible qu'elle n'en ait aucune ? Les humains étaient imparfaits par nature, mais cette jeune femme pouvait-elle être différente ? Elle commençait à le croire, pour son plus grand plaisir, d'ailleurs...

Elinor avait approuvé sa décision, ce qui était préférable puisque de toutes façons, l'homme était déjà mort. La vampire n'avait guère de patience et ne perdait pas son temps dans de futiles tergiversions. Si elle avait envie de tuer, elle le faisait. Ce n'était pas grand-chose en somme, juste une vie qui s'envolait. C'était si fragile, si aisé de couper l'âme du corps. La seule chose qui agaçait Aliénor, et qui la motivait à toujours pousser la souffrance plus loin, c'était de ne pas savoir où l'esprit du mort s'en allait. Elle savait très bien que ce chemin lui était à jamais interdit. Elle était maudite, elle ne poursuivrait pas l'aventure humaine. La nuit avait étendu son voile funèbre sur son corps depuis bien longtemps, et il n'y avait aucune autre échappatoire. Elle était damnée pour l'éternité.

Cela était à la fois grisant et pathétique, mais elle préférait se persuader qu'elle vivait une expérience unique qui s'enrichissait de jour en jour. Après tout, si elle était restée mortelle, cela ferait bien longtemps que son corps aurait pourri dans la terre, peut-être dans le même caveau qu'un mari insipide qui l'aurait trompée maintes fois. Grâce à sa "renaissance", elle avait évité une pâle existence de femme soumise dans une époque archaïque. Elle avait goûté la liberté et la mordait à pleines dents. Pour le moment, il fallait qu'elle reste attentive au moindre fait et geste d'Elinor, car cette petite était certes prometteuse, mais très instable. Gardant sa main dans la sienne, elle l'approcha d'elle et de son autre main, releva le menton de la jeune femme pour qu'elle la regarde.

"Ils cassent trop vite car tu n'en prends pas suffisamment soin." déclara-t-elle avec un sourire patient. "Il faut savoir rester calme en toutes circonstances, ne pas se jeter sur une victime en lui infligeant tous les maux. Il faut la ménager pour qu'elle reste en vie plus longtemps. La laisser reprendre des forces. Et ensuite, seulement lorsque tu en as envie, tu lui donnes le coup de grâce. La torture doit être un art, pas une simple boucherie. Ce seigneur des ténèbres ne t'apprend vraiment rien d'utile."

Sous-entendait-elle que la jeune femme serait bien mieux à apprendre entièrement sous ses ordres à elle ? Il n'était pas dans la nature d'Aliénor d'avoir un groupe d'apprentis vampires à ses côtés, elle n'avait pas besoin de cela pour se sentir toute puissante, mais elle n'était pas sans savoir que côtoyer des Mangemorts n'était pas la meilleure solution pour approfondir ses connaissances. Ils n'étaient que des sous-fifres désespérément accrochés à leur Maître. Elinor valait mieux que cela. Elle était la promesse d'un monde meilleur, du point de vue d'Aliénor, en tous cas.

"D'ailleurs, je ne suis pas sûre qu'il serait ravi de savoir que tu lui fais quelque infidélité en venant me voir." poursuivit-elle d'un ton faussement désintéressé. "J'ai entendu dire qu'il était très possessif avec ses compagnons, n'est-ce pas ?"

Tout en parlant, sa main qui tenait la sienne avait glissé sur son avant-bras dans une légère caresse, avant que ses doigts aux ongles acérés ne s'enfoncent à l'endroit où se trouvait la Marque des Ténèbres. Aliénor eut un sourire méprisant en constatant que cela avait éveillé une certaine douleur chez Elinor. Elle n'avait aucun dédain pour elle, seulement pour la cause qu'elle avait rejoint. La pauvre enfant... Elle avait voulu s'enfoncer dans le mal le plus sombre, mais elle n'avait pas sonné à la bonne porte.

"Tu n'as jamais pensé qu'il était un peu trop obsessionnel avec ce petit Potter ?" reprit la vampire d'un ton posé. "Si tu décidais de lui tourner le dos, ce que je te proposerais en échange dépasserait tes rêves les plus fous. Il ne voit pas assez loin, mais moi si. Mes désirs sont bien moins provinciaux que les siens."

Elle relâcha enfin la pression qu'elle exerçait sur le bras d'Elinor, et se mettant en marche, elle dit sans attendre de savoir si elle la suivait :

"Je te montrerai comment on s'y prend, mais en retour, tu devras faire un choix. Pour commencer, il te faudra décider lequel de nous deux tu désires servir. C'est très important. Mais je suis gentille, je te laisse réfléchir."

Se faisant, elle avançait d'un pas vif, sa robe faisant des remous gracieux dans son sillage, mais elle se stoppa soudain en entendant des pas approcher. D'après le poids et la façon dont les pieds s'enfonçaient dans le sol, il s'agissait de deux hommes de corpulence moyenne. Aliénor n'eut qu'à se poster devant eux et à user de son pouvoir pour les faire tomber sous son charme. C'était beaucoup trop facile. Esquissant un sourire en coin, elle se tourna vers Elinor (elle savait qu'elle l'avait suivie) et commença alors la leçon de choses :

"Approche, ils sont totalement inoffensifs"

Aliénor tendit la main dans la direction de la jeune femme, attendant qu'elle approche, et une fois fait, elle ressortit son petit poignard de la pochette à sa taille et le dirigea vers le cou du premier homme.

"Pose ta main sur la mienne. Je vais te montrer comment je fais. ça risque d'être amusant !"

Aliénor attendit donc que la jeune femme s'exécute, sentant une sorte d'excitation s'emparer d'elle. C'était si grisant de transmettre son savoir ! Pourvu qu'Elinor ne la déçoive pas et se rende compte qu'un mage noir n'était rien comparé aux perspectives qu'Aliénor pouvait lui ouvrir...

Ce fut un moment de communion inoubliable. Aliénor se laissa griser par un subtil frisson alors qu'elle faisait courir la lame sur le corps de l'homme. Elle avait torturé maintes et maintes fois, mais celle-ci était différente. Jamais encore elle n'avait partagé ce loisir à ce point avec une autre personne. Sentir la main d'Elinor contre la sienne alors qu'elle tenait le poignard avait quelque chose d'indescriptiblement excitant. Elle partageait son savoir avec quelqu'un d'autre, mais c'était encore plus que cela : depuis des siècles d'errance et de solitude, elle se sentait enfin comprise dans son art. Elle avait beau guider le poignard tel un pinceau sur une toile, elle sentait qu'Elinor suivait parfaitement chacun de ses gestes. Elle était une élève parfaite.

Fascinée par la torture lente et par le sang rougeoyant qui s'échappait de la pauvre victime, elle ne s'aperçut par que le regard d'Aliénor se tournait vers sa nuque sur laquelle palpitait une veine bien désirable. La vampire se laissa hypnotiser un moment par cette vie qui se dégageait de cette jeune fille toute en noirceur, mais elle revint à la réalité en l'entendant rire. Aliénor battit alors des cils, se réveillant de son doux rêve, et encouragea Elinor par un sourire évanescent. Elle se rendit compte alors que le mortel avait rendu l'âme. Oh, comme c'était triste, elle n'y avait même pas pris attention ! Elle ressentit comme une sensation de vide, comme si elle avait perdu quelque chose, lorsque la main d'Elinor glissa de la sienne pour s'agenouiller à côté du cadavre, le touchant comme pour s'assurer qu'il était bel et bien mort. Puis, Aliénor tressaillit quand elle l'entendit poser cette si terrible question, ces quelques mots auxquels elle n'avait pas de réponse exacte.

Oui, pourquoi elle ? Pour quelle raison une vampire comme elle s'encombrerait d'une si jeune mortelle ? La conclusion la plus évidente était qu'elle souhaitait une compagne, les précédentes l'ayant déçue, mais Aliénor savait bien au fond d'elle-même que cela n'avait rien à voir. De plus, elle ne ressentait pas le besoin de transformer la jeune femme en créature de la nuit. Par le passé, elle s'était très bien rendue compte que cela ne résolvait rien, et permettait encore moins de garder les personnes auxquelles on tient avec nous. Elles finissaient toutes par partir, car on ne peut les retenir, elles doivent vivre leur propre "vie"... Non, Aliénor avait trouvé autre chose chez Elinor. Une beauté et une perversité qu'elle avait rarement rencontrées au cours de son existence...

Sans dire un mot, la vampire s'approcha d'Elinor, contourna le cadavre, et une fois en face d'elle, se pencha pour la prendre par les épaules et la relever. Là, elle l'observa un long moment, plongeant son regard perçant dans le sien, insondable, puis soudain, approcha la bouche de son oreille. Pendant un instant, elle crut qu'elle allait parler, mais ne trouvant pas les mots adéquats, elle se contenta de caresser sa joue de son souffle glacé avant d'y déposer un baiser fugace. Elle se recula avec un petit sourire, restant tout de même à moins d'un mètre de la jeune femme, et continua de la regarder, imperturbable.

Tout à coup, elle prit conscience de ce qu'elle venait de faire. Elle écarquilla les yeux, choquée par son audace, et préféra se détourner de la jeune femme, marchant de long en large avec élégance malgré son agacement. Elle venait de l'embrasser. Elle venait de l'embrasser ! Pourquoi avait-elle fait cela ? Que cherchait-elle à exprimer ? Habituellement, ce genre de choses la laissaient de marbre, car elle contrôlait toujours chacun de ses mouvements et agissait par instinct, mais cette fois-ci, elle avait eu l'impression que quelque chose d'autre l'avait forcée à agir ! Qu'était-ce donc cette nouvelle diablerie ?

Elle ne pouvait supporter qu'Elinor pose son regard sur elle plus longtemps. Lui lançant un regard noir, elle leva le doigt dans sa direction comme pour intimer le silence, et déclara alors d'un ton froid :

"Pas un mot de tout cela !"

Après quoi, elle pivota sur ses talons sans un adieu. Sa jupe vola autour d'elle telle une corolle de fleur et elle s'en fut dans la nuit, disparaissant derrière un léger écran de brume.