Ciel, un homme en peignoir ! [FE]

Il était tard. Ou très tôt.

Ondine n'aurait su se repérer dans le temps. Il lui semblait que son cerveau s'était noyé dans une masse cotonneuse. Elle peinait à émerger d'un sommeil qui se rapprochait plus de l'inconscience la plus totale. Elle entrouvrit les yeux, apercevant aussitôt une couverture qui tentait de lui sauter au visage ! Sans prendre le temps de réfléchir, elle roula sur elle-même, s'enveloppant de ce fait dans le drap, et chercha à riposter, à repousser cette infâme couverture, mais elle s'était tant et si bien saucissonnée qu'elle ressemblait à une chenille incapable d'avancer. Elle émit quelques couinements de désapprobation, mais cela n'eut aucun effet, bien entendu.

Lasse de se trémousser pour des efforts inutiles, la blondinette s'extirpa tant bien que mal du drap mais lorsqu'elle vit qu'elle était nue en dessous, elle le plaqua aussitôt contre elle, pile au moment où son patron entrait dans la pièce et qu'un flot de souvenirs à la fois sulfureux et très désagréables lui revenaient en mémoire.

L'homme en face d'elle portait un peignoir, ce qui était parfaitement insensé. Qui apporterait un peignoir à son travail ? Ondine lança un regard circulaire à la pièce qu'elle n'avait pas vraiment eu le temps de détailler auparavant, et songea avec une moue écoeurée : quelle personne saine d'esprit aurait fait jouxter une chambre à son bureau ?

Ils se trouvaient tous deux en haut de la tour de la Gazette du Sorcier, avec la secrétaire à seulement quelques mètres d'eux, cachée par une cloison d'à peine vingt centimètres d'épaisseur. Ondine attrapa une mèche de ses propres cheveux et se mit à la trifouiller, en proie à des remords et surtout, à la panique.

"Je suis absolument monstrueuse !" dit-elle d'une voix blanche.

C'était triste, mais elle s'était toujours cru en dehors des règles, toujours au-delà des faiblesses du commun des mortels. Elle avait obtenu son diplôme de journaliste magique du premier coup, n'avait jamais fait de fausse note, s'était fixé un objectif... tout cela pour finir dans les bras de son patron. Patron qui n'était le sien que depuis quelques heures, de surcroît.

Il semblait la toiser, attendre une quelconque réaction de sa part, mais la jeune femme restait muette, incapable d'alléger la situation. Rien que pour l'énerver, ou le forcer à réagir à son tour, elle lança d'un ton sarcastique :

"Vous êtes le profil même du type qui emmène sa maison au travail."

Elle eut un petit rire méchant, puis jeta un coup d'oeil tout autour d'elle, en maintenant fermement le drap contre sa poitrine avec sa main. Elle cherchait quelque chose qu'elle ne trouva pas, car elle planta subitement son regard dans celui de son patron, et demanda alors, le front en avant comme pour s'apprêter à donner un coup de boule :

"Où sont mes vêtements ?"

Elle pensait l'impressionner, voire l'effrayer, mais elle se doutait bien qu'un vieux machin comme lui en avait déjà vu d'autres. Quel âge pouvait-il avoir, d'ailleurs ? A cette pensée alarmante, Ondine lâcha le drap une fraction de seconde pour porter la main à sa bouche, mais le rattrapa avant qu'il ne tombe trop bas.

"Vous êtes un espèce de maniaque qui cache les vêtements des filles ? Je vous préviens, je suis syndiquée ! Enfin... je le serai dès que j'aurai signé la feuille... Faites-moi penser d'aller voir la secrétaire après."

Elle ne savait plus trop ce qu'elle disait, ce qui était normal car la situation avait de quoi la chambouler. Sans le lâcher du regard, elle plissa les yeux, attendant qu'il craque ou qu'il se conduise en individu civilisé... même s'il n'avait rien démontré de tel au cours des dernières heures.

Ondine secoua la tête pour chasser cette pensée sournoise de son esprit.

Un sourire inattendu fendit le visage d'Ondine et elle était sur le point de lui dire de passer le bonjour à la secrétaire aussi, car c'était une femme charmante, mais lorsqu'elle entendit la suite de ses paroles, elle se figea dans le lit une longue minute. Elle le vit approcher puis lui tendre une tasse de café, et la jeune femme regarda l'objet d'un air hébété. Puis soudain, elle retrouva ses esprits, et glissant une main derrière elle, elle se saisit d'un oreiller et le lança en plein dans la figure de son patron, renversant au passage le contenu de la tasse sur le lit... et sur le drap qui la recouvrait.

"MERDE !" cria-t-elle d'un ton suraigu, sautant du lit en tenue d'Eve.

Grimaçant, elle baissa les yeux, et lorsqu'elle s'aperçut de son apparence, elle poussa un hurlement avant d'aller se cacher derrière un rideau.

"Pourquoi il ne m'arrive que des tuiles quand je suis avec vous ?" fit-elle d'un ton plein de reproches. "Je n'aurais jamais dû accepter ce job..." ajouta-t-elle plus pour elle-même. "Oui, mais si je n'avais pas accepté, j'aurais loupé la chance de ma vie ! Oui mais tu aurais surtout manqué l'occasion de coucher avec ton patron ! Je n'ai pas...! Enfin si... Mais ce n'était pas prévu dans le contrat !"

Elle devait ressembler à une hystérique, drapée dans le rideau, tenant difficile en équilibre car les tringles maintenaient solidement celui-ci contre le mur. Elle se parlait à elle-même quand elle n'arrivait plus à réfléchir convenablement ni à organiser ses pensées. Posant le regard sur son patron, elle écarquilla les yeux, comme si elle venait juste de remarquer sa présence.

"Vous êtes mariés ?" s'écria-t-elle, ses paroles lui revenant brusquement en mémoire. "Mon dieu, je suis vraiment une garce. Edmund va bien se ficher de moi... Heureusement qu'il n'en saura jamais rien ! Je... Je vais appeler votre femme pour tout lui expliquer... Passez-moi votre téléphone !"

Elle s'écarta du rideau à grandes enjambées, la main tendue vers son patron, mais se souvenant qu'elle était toujours nue, elle tendit l'autre main, et d'un geste aussi sec que brutal, elle tira sur le rideau qui s'écroula sur elle. Se démenant pour émerger de cet amas de tissu, elle se tortilla, et lorsqu'enfin elle parvint à s'enrouler dedans, elle ressemblait à une espèce de statue grecque échevelée.

"Donnez-moi votre téléphone. J'appelle votre femme. Je veux m'excuser auprès d'elle. Et je le ferai pour vous aussi, parce que je suis persuadée que vous ne l'en informez pas quand ça vous arrive."

Lui lançant un regard noir, elle fit un geste de la main pour lui faire signe de lui donner le portable. Se souvenant de sa dernière phrase, elle eut un petit rire crispé et déclara avec un calme surprenant :

"Je n'ai pas eu le temps de terminer cette interview vu que j'étais avec vous, au cas où vous l'auriez oublié."

Non mais et pis quoi encore ? Il voulait peut-être qu'elle aille illico presto en Irlande interviewer un joueur de Quidditch alors qu'il était à peine 7H du matin ?

Sa femme ne voyait aucun mal à ce qu'il la trompe ? Eh bien dans ce cas, elle était vraiment très bizarre, à moins que Ondine ait à faire à un couple libéré... ce qui ne la rassurait pas plus. Voilà que son patron jouait la carte de la jalousie en demandant qui était Edmund ! Il ne manquait pas de culot, c'était certain. Cependant, elle faillit sortir de ses gonds lorsqu'il déforma son prénom. Tout le reste fut aussitôt éclipsé par cette infamie, et la jeune femme se planta alors devant lui, serrant férocement ses mains contre le drap pour s'empêcher de le frapper. Même si elle mourrait d'envie de lui faire ravaler ses paroles, elle savait très bien que des coups et blessures sur son patron ne menaient qu'à un licenciement rapide et sans délai. Et justement, Ondine tenait à son job. Tellement qu'elle avait même fait une grosse bêtise dans l'espoir fou de le garder...

"BLONDINE ?" s'écria-t-elle, ne parvenant pas à maîtriser le volume sonore de sa voix. "BLONDINE ? Je ne m'appelle pas 'Blondine' ! Moi c'est Ondine ! ONDINE ! Je sais que c'est nul, mais justement, n'en rajoutez pas."

Elle lui lança un regard noir, et enchaînant sur la suite de ses propos, elle déclara, tout en modérant sa voix du mieux qu'elle pouvait :

"J'aimerais beaucoup sortir de cette chambre, mais au risque de me répéter, je n'ai PAS de vêtement ! Je ne sais pas où ils sont passés ! Peut-être ont-ils disparu ? En tous cas, je ne sortirai pas d'ici avant qu'on me les rende. Je tiens à ce travail, mais pas au point de me promener toute nue dehors ! En plus, je ne crois pas que ça serait Siobhan qui fera la couverture de la Gazette si je l'interviewais avec un drap pour me couvrir !"

Fière de sa répartie, elle fixa son patron d'un air suffisant, puis s'asseyant de nouveau sur le lit, elle ajouta avec une petite moue :

"Votre femme est bizarre. D'un côté, vous allez bien ensemble !"

Gardant une main contre sa poitrine et contre le drap, elle passa l'autre dans ses cheveux ébouriffés, et poussant un soupir, elle observa quelque peu la chambre.

"C'est bizarre aussi d'avoir une chambre juste à côté de son bureau. Franchement, tout est bizarre avec vous !"

Sautant de nouveau sur ses pieds, elle trottina jusqu'à une armoire et là, la désigna du bout du doigt :

"Mes vêtements sont là-dedans ? Je suis sûre que vous êtes maniaque au point de ranger et de plier les habits de vos conquêtes juste après avoir passé la nuit avec elles ! Vous ne seriez pas un peu obsessionnel et compulsif ?"

Fronçant les sourcils, elle se pencha sérieusement sur la question, avant de secouer la tête et de poser une main sur ses hanches, attendant qu'il réagisse pour qu'elle puisse enfin retrouver une tenue décente.

Ondine avait été douché par son insolence. Perplexe, elle l'avait vu quitter la pièce comme un prince, et à présent, elle se retrouvait seule. Sans vêtement. Dans une chambre jouxtant le bureau de son patron.

De rage, elle attrapa le pauvre oreiller qui était tombé par terre et le lança violemment contre la porte fermée. Après quoi, elle se mit en quête de quelque chose pour s'habiller, mais se raidit brusquement lorsqu'elle entendit qu'on frappait à la porte.

Jetant un regard anxieux vers l'oreiller qui était tombé contre celle-ci, la jeune femme se demanda pendant un court instant si ce n'était pas lui qui venait de toquer, puis secoua la tête et alla ouvrir. Elle se retrouva nez à nez avec Brenda, la secrétaire cinquantenaire de son patron, qui tenait une pile de vêtement dans ses mains manucurés. Le regard qu'elle lui lança par-dessus ses lunettes carrés était des plus évocateurs, et Ondine resserra machinalement le drap contre elle.

Je sais que je ne suis pas la première et encore moins la dernière... mais tout ce que je veux pour l'instant, c'est prendre une bonne douche.

C'est ce qu'elle aurait dû lui dire si elle avait eu un peu d'amour- propre, mais n'en possédant pas une once, la jeune femme se contenta de prendre les vêtements en marmonnant un vague merci. Après lui avoir pratiquement claqué la porte au nez, Ondine entreprit de s'habiller, maudissant au passage son patron de l'avoir laissée dans une situation aussi précaire.

"Il rêve s'il croit que je vais aller au restaurant avec lui !" s'écria-t- elle soudain, le rouge lui montant aux joues sous l'effet de la colère. "C'est hors de question ! J'ai du travail !"

Elle boutonna rapidement sa veste de tailleur (elle détestait être habillée comme une institutrice des années quarante) et sortit de la chambre en claquant la porte derrière elle. Elle passa rapidement devant Brenda et s'engouffra dans l'ascenceur en fixant ses chaussures.

Il lui faudrait beaucoup de volonté pour revenir la tête haute.