Les questions qui fâchent [Fe]

Il était quand même dure d'imaginer que Michael ait pu survivre de cette façon. En temps général, il s'arrangeait pour s'en sortir vivant de façon plus élégante. Là, en plus de dire que c'était brouillon, on pouvait au mieux ajouter qu'il avait preuve d'une gymnastique impressionnante et avait eu la chance d'un Irlandais qui faisait collection de trèfles. En attendant, mon allure incertaine et vivace ne m'avançait à rien. Richard m'attendait de pied ferme, l'arme à la main et le visage dur. Étant donné sa posture, je me disais qu'attaquer de front était une mauvaise idée. Encore plus que ma drôle de technique suicidaire dont j'avais eu l'audace d'user quelques minutes plutôt.

C'est à cause de ce geste inutile que du sang coulait de mon oreille. L'entaille ne me faisait pas là et la plaie ne devait pas bien être très profonde. Cependant, j'avais cette goutte de sang qui trainait le long de mon cou. Elle avait traversé le lobe, puis suivait la jugulaire dans une ligne parfaite. Une sorte d'instinct, sûrement. Et je devais avouer que ce petit détail me gênait. Ça me déconcentrait, m'empêchant de déterminer quel mouvement serait le bienvenue pour surprendre mon adversaire ; et comment contrer son éventuelle parade, afin de ne pas me retrouver dans une situation aussi inconfortable que celle d'être obligé de s'adonner à des usages amateurs pour ne pas se faire décapiter.

Je décidai donc de freiner la course de l'hémoglobine, l'écrasant de ma paume. Je me frottai un peu la nuque au passage. Puis découvrit que ma main était désormais parsemé d'un petit rouge humidifié. Logique, me direz-vous. Mais cette vision me percuta. C'était comme au bon vieux temps : pris au piège au milieu d'une bande de malfrats, obligé de se défendre comme on pouvait. J'avais adopté un mode qui me venait du plus profond de mon inconscience. Un état que chaque assassin connaissait : celui de survie. Qui nous oblige à contrôler nos douleurs et notre adrénaline pour faire plus de force.

En un centième de seconde, j'avais replacé la rapière. Ma garde paraissait maintenant plus professionnel, prête à affronter n'importe quel ennemi, à découper n'importe quelle chair et à faire de la lame une arme dévastatrice. Dans la même vitesse, je ne me posais plus aucune question. Elle partit en coupe transversale, prête à affliger un coup meurtrier à la hanche de l'armurier. Je préservai la puissance et la droite harmonie de mon épée autant que possible, ne faisant plus trop attention à l'intérêt que j'avais à garder Richard en vie ou pas. Mais il y avait une chose que j'avais négligé : Mira. Le métal n'avait pas eu le temps de rencontrer une quelconque once de peau, qu'un éclair vint le frapper de plein fouet. Je perdis le contrôle du pommeau et La Espada de la Verdad vint se planter contre le mur placé derrière mon dos.

MIRA ANANDI ▬ Allons, vous n'arriviez pas à vous décider sur lequel avait la plus grande ?

Je regardai Richard de manière méprisante. Déçu de ne pas avoir pu prendre le dessus sur le combat. Après tout, j'aurais pu gagner une rapière au change si je n'avais pas été tant hésitant sur la façon de le mettre à terre. Il aurait fallut être plus vif, plus rapide, plus perçant... Dans tout les sens du terme. Et surtout beaucoup moins brouillon. Car encore un peu, et je me serais retrouvé avec une oreille en moins. Voire autre chose. J'aurais pu finir aveugle, unijambiste, castré, chauve... Ou mort, dans le meilleur des cas. Je posai alors un œil discret et subtil sur la nuque de mon ancien adversaire... Il suffirait d'un mouvement et... Oh et puis non. Mon père me répétait sans cesse qu'il fallait être loyal et fair-play. Les tricheurs ne méritent pas la victoire ; même s'ils l'obtiennent.

Du coup, se remémorant ses souvenirs tant encrés en moi, j'abandonnai l'idée de la traitrise. Comme dirait l'autre : revenons à nos moutons. Je n'étais pas venu à Archangel, alors Archangel était venu à moi ? D'un manière plutôt amusante... et humiliante, devais-je dire. Probablement ironique quand on y repense ; étant donné que mademoiselle avait l'air de connaître l'armurier ici présent.
Personne ne savait mieux que moi à quel point le Monde était petit, étant donné que je faisais partie de ceux qui contrôlaient l'information et sa circulation. Néanmoins, j'étais aussi du genre prudent et j'avais donc fait un rapport complet et personnel sur chaque membre de mon avant-garde. Et jamais je n'ai vu une connexion entre les deux. Mira Anandi et Richard Darken Rahl ne se connaissent ni d'Eve ni d'Adam. Pas à ma connaissance en tout cas. C'est un fait que j'aurais aisément pu remarqué... Il y avait quelque chose à creuser là-dessous...

Mais en attendant, ça ne m'offrait pas sur un plateau la raison de la venue soudaine de ma subordonnée. Je gardai un regard attentif sur ses gestes. Elle se contentait de répondre à l'assassin de façon invisible et légèrement sensuelle. Des battements de cils, des mouvements de pupilles. Absolument imperceptible pour un inexpérimenté. Manque de chance, je ne faisais pas partie de ce camp là. Si je l'avais engagé, c'était avant tout pour sa furtivité et donc sa maitrise du langage corporel.
M'approchant de ma veste pendant qu'ils faisaient la conversation, je réfléchissais à quoi rétorquer à la réplique cynique de la mercenaire. J'enfilai mon habit, vérifiant bien que ma baguette y était. J’eus du mal à mettre la main dessus pour être franc, mais dès que je senti le bout de bois entre mes doigts, j'étais de nouveau parti dans mes mimiques étranges, à faire mon fanfaron.

MICHAEL TERRAGONE ▬ Je ne t'ai pas engagé pour ça, Mira.

Je dis ça d'un ton sec et chaleureux. Les deux à la fois. Aller comprendre comment je faisais pour faire passer une telle froideur dans la voix mais pour produire, en même temps, un son calme et heureux. Je crois que c'était juste un réflexe inné. Je connaissais notamment les réflexes innés de Mira, qui consistait à se venger si on portait trop de reproches sur son dos. J'étais toujours ce qu'on pouvait qualifier de "boss", pas pour autant que je devais monter sur mes grands chevaux.
Elle se contenta cependant de me répondre avec son magnifique accent oriental.

MIRA ANANDI ▬ Je sais, chef. Mais je ne suis pas venu pour vous interrompre. En fait, nous avons un problème.

Je tournai la tête. Alternant entre Richard et Mira. J'haussai un sourcil.

MICHAEL TERRAGONE ▬ Avec qui ?