Oh my god ! It's so chocking ! [FE]

Oh my god ! It's so chocking !

Debout devant l'élégante porte en bois, Seth hésitait. Il était à la croisée des chemins. S'il le voulait, il lui suffisait de se retourner et de partir dans la direction opposée, de faire une croix à jamais sur une rencontre avec une personne dont il ne savait rien. Il était très tenté de suivre cette route tellement plus facile. Le sang battait à ses tempes. Il fixait la porte ouverte comme si elle allait lui sauter au visage, mais revint brusquement à la réalité lorsque le portier s'adressa à lui :

"Voulez-vous entrer, monsieur ?"

C'était sûrement la troisième fois qu'il lui demandait, et au ton qu'il avait pris, il était visiblement agacé par l'indécision du jeune homme. Celui-ci ne réagit pas, fixant toujours la maudite porte, et le portier lança alors d'une voix menaçante :

"Quand le défilé aura commencé, je ne pourrai plus vous laisser ent..."

"Tu crois vraiment que tu pourras me bloquer le passage avec tes quarante kilos tout mouillé ?" fit Seth, sortant subitement de son mutisme pour lancer un regard noir au portier.

Le pauvre homme sembla se recroqueviller sur lui-même, surpris qu'un gentleman d'une telle prestance puisse se comporter d'une si impudente façon. On invitait vraiment n'importe qui de nos jours, dans les défilés. Se poussant, craintif, il laissa passer le jeune homme qui monta les marches en trois pas avant de disparaître à l'intérieur.

Ce n'était pas dans les habitudes de Seth de répondre avec tant d'impolitesse, mais il était à cran depuis ces derniers jours, obsédé par une idée fixe qui l'avait maintenu éveillé des nuits entières. Il en gardait des cernes sous les yeux, ce qui renforçait son allure peu engageante. Il avait revêtu son habituel costume avec une longue veste noire légèrement en queue de pie. Puisqu'il se rendait dans un endroit huppé, il avait mis un chapeau haut-de-forme sur sa tête, retrouvant avec bonheur les vêtements qu'il portait lorsqu'il était encore à son époque. Les gens s'étaient retournés sur lui dans la rue, mais comme il n'était pas en mission pour l'Ordre, il n'avait en aucun cas besoin de passer inaperçu.

Il entra dans une vaste salle haute de plafond, où tous les projecteurs étaient braqués sur une longue scène surélevée au centre. Une foule était rassemblée, assise autour de celle-ci, et parlait avec animation. Seth se glissa habilement parmi les gens et s'installa à une chaise vide au premier rang, enlevant d'une pichenette le petit papier placé dessus avec le nom de la personne qui aurait dû y être. Là, il enleva son chapeau, et n'eut à attendre que quelques secondes avant que la lumière ne s'éteigne totalement et que les projecteurs inondent la scène. Il était arrivé juste à temps.

Des jeunes femmes en sous-vêtements commencèrent à défiler les unes après les autres, observant l'horizon de leur regard fixe, et si Seth resta un moment rêveur devant ce spectacle, il sursauta subitement, songeant qu'il n'avait pas le droit de les regarder ainsi ! Il savait que l'une des filles était... Il ne pouvait les regarder dans cette tenue ! Alarmé, il observa du coin de l'oeil, la main sur le côté de son visage, essayant de deviner laquelle d'entre elles était "l'élue".

Etait-ce cette blonde élégante ? Cette rousse au regard effrayant ? Ou cette brune qui lançait à la foule un regard mutin ?

Bien entendu, il ne trouva pas. Il fut contraint d'attendre l'entracte, mais au lieu d'aller se chercher un rafraîchissement, il se rendit dans les coulisses... sans trop savoir que faire. Finalement, se retrouvant devant le fait accompli, à savoir devant la porte ouverte d'une loge, il lança un sourire un peu gauche aux trois jeunes femmes en petite tenue qui se maquillaient, et les mots franchirent ses lèvres avant qu'il ait pu les retenir :

"Savez-vous où est Cassandra Grey ?"

Il aurait voulu se frapper, car si jamais l'une des demoiselles s'avérait être présente dans la loge, il passerait pour un imbécile. Roulant des yeux face à sa propre bêtise, il fut surpris d'entendre les trois filles glousser. Il sourit pour paraître un peu moins tendu, et celui-ci s'agrandit quand la brune répondit :

"Elle est sûrement dans la rue à fumer sa clope ! Vous êtes son petit ami ?"

Ele gloussa de nouveau, coupant la parole à Seth qui de toutes façons, n'aurait su quoi répondre. Grommelant quelque chose d'incompréhensible, il pivota sur ses talons et sortit dehors par la porte des coulisses, les gloussements de dinde résonnant encore à ses oreilles.

Son coeur manqua un battement lorsqu'il vit la jeune femme. Vêtue d'un peignoir, nonchalamment adossée contre le mur, elle fumait une cigarette d'un air absent. Ce fut trop pour Seth : elle était pratiquement dans le plus simple appareil, complètement dévergondée ! Ce n'était pas convenable ! Traversé par le flot d'émotions qui le submergeait, il éclata :

"Non mais ça ne va pas ? Qu'est-ce que c'est que ces manières ?"

Dévisageant la jeune femme d'un air hystérique, il ne put s'empêcher de penser qu'elle était vraiment très jolie. C'était de famille, apparemment. Essayant de se calmer, il reprit après s'être éclairci la voix :

"Hum, je suis désolé, je ne me suis pas présenté. Seth Whitmore."

Il lui tendit la main avec un sourire engageant. Il ne valait mieux pas paraître fou à lier, car il n'avait pas envie qu'elle s'enfuit en courant.

"J'ai beaucoup aimé le... spectacle. Enfin ce que vous avez fait. Même si vous auriez pu être bien plus habillée !"

Et voilà, encore un reproche. A croire qu'il les collectionnait. Il lui lança un regard de bas en haut, puis de haut en bas, et secoua finalement la tête, songeant qu'elle avait le diable au corps pour lui paraître attirante. Elle n'aurait pas dû être séduisante à ses yeux, c'était contraire à toutes les lois de la nature ! Cela montrait une fois de plus qu'il n'aurait jamais dû se trouver dans cette rue, à cet instant précis. Il n'appartenait pas à ce monde, et il souffrirait tant qu'il essayerait de s'y faire une place.

Agacé, désespéré, il ne trouva rien d'autre à faire que de prendre la satanée cigarette entre ses doigts et de la jeter par terre avant de l'écraser avec son pied.

"C'est très mauvais pour la santé !" dit-il d'un ton fulminant.

C'était raté : il allait passer pour un cinglé.