▒ La rêverie est la vapeur de la pensée ▒ FE

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

Tout commença de la façon la plus banale possible. Comme à son habitude, Myrtille était seule dans la grande demeure, mais elle ne s'en formalisait pas. Elle avait appris depuis bien longtemps à ne pas s'ennuyer. Pour rompre la monotonie et la solitude, elle parlait à son ami imaginaire, s'entraînait à jeter des sorts sur les chats errants (mais rien de bien méchant, rassurez-vous). Puis, le sommeil la tenaillant, elle avait fini par monter dans sa chambre et se glisser sous ses couvertures. Elle avait tout d'abord enfilé son pyjama avec des petits moutons dessus, s'était coiffée les cheveux, et s'était laissée glisser dans un sommeil sans rêve. Elle ne songeait plus depuis bien longtemps, depuis la mort de ses parents, finalement. Quelque chose s'était cassé ce jour-là. Une partie de sa vie avait été brisé nette, comme si un ciseau était passé par là et avait coupé son existence en deux. Avant, il y avait les rêves et l'imagination. A présent, ne restaient que les ténèbres. Mais Myrtille n'avait pas peur, elle vivait simplement au jour le jour, sans nostalgie aucune. Elle avait compris depuis longtemps que rien ne lui arriverait jamais.

Au petit matin, en ouvrant les yeux, elle comprit aussitôt que quelque chose n'était pas normal. Premièrement, elle avait du foin piqué dans les cheveux. Encore un peu ensommeillée, elle se redressa sur les coudes et s'aperçut alors qu'elle était allongée sur une paillasse précaire, seulement recouverte par une couverture élimée et rêche. Elle se trouvait dans une espèce de grande haute de plafond, qui sentait bon l'herbe sèche et le cheval. Etrangement, elle ne se sentit pas inquiète, seulement curieuse lorsqu'elle vit entrer un jeune homme avec un grand cheval noir absolument magnifique.

Myrtille s'assit alors posément sur la paillasse, et dit avec un grand sourire sympathique :

"Bonjour ! Excusez-moi de vous importuner mais... vous pouvez me dire ce que je fais ici ?"

Elle battit des cils car l'arrivée du jeune homme l'avait aveuglée momentanément, puisqu'il avait ouvert la porte de la grange. Un rayon de lumière vivifiante se dirigea directement sur la jeune fille, lui laissant deviner que le temps au dehors devait être radieux. Finalement, peut-être que le chemin de ses rêves n'était plus aussi difficile d'accès ? Cela faisait tellement d'années qu'elle n'avait plus rêvé qu'elle se sentait étrangement euphorique, ce qui devait sûrement effrayer le jeune homme, mais rien n'était moins sûr...

La Rêverie est la Vapeur de la Pensée

Siobhán s'était laissé mener par son cheval toute la nuit. Ça lui arrivait souvent de galoper pendant des heures, au bord de l'eau, sentant les quelques goutes de la rivière venir se loger contre sa peau, orchestrés par les sabots du cheval. Il aimait accompagner le cheval dans chacun de ses mouvements. C'est grâce à cette fusion des deux corps en mouvements, qu'il avait cette sensation d'osmose, d'accord parfait. Il pouvait extérioriser ses émotions, ses sentiments, se libérer de tout ce qui se trouvait dans ce monde. C'était un autre univers qui s'ouvrait à lui à chaque fois qu'il était avec sa monture.

Ce matin là, il était censé rejoindre la cour impériale pour y escorter un tout nouveau né qui serait sans doute le futur Voliquus du Prince, le fils du Roi Ebenezer. Il allait lui falloir revenir à son Haras pour récupérer la bête, et ensuite prendre la route pour la Cité. C'était chose facile, mais il n'avait pas prévu qu'une jeune demoiselle se tiendrait devant lui, une fois la porte de la grange ouverte.

"Bonjour..."

Il avait prononcé ce mot avec un petit air septique. Elle semblait bien particulière pour une jeune femme. Et la tenue qu'elle avait, n'avait rien à voir avec ce que les femmes de ce monde portaient. Peut être qu'elle était l'une de ces créatures de la rivière ? Mais elle avait des cheveux châtains, et les créatures de la rivières avaient toutes une chevelure unique en son genre.

"Siobhán, pour vous servir. Mais vous auriez dû entrer dans la maison, plutôt que de venir dans la grange. C'est là bas que vous auriez trouvé mon maître pour pouvoir lui acheter un Voliquus."

En parlant de Voliquus, celui sur lequel était monté le jeune garçon, l'avait rejoint à l'intérieur, et après avoir jeté un regard en direction de la petite dame, il était aller boire un peu plus loin, là où l'attendait un tonneau d'eau. Il semblait grandement apprivoisé pour un cheval. Mais tous les chevaux étaient comme ça, ici. Ils accompagnaient les sorciers, ils n'étaient pas leurs serviteurs. C'est pour cette raison qu'il fallait réussir à les dompter, et qu'il fallait faire preuve de beaucoup de dextérité et de patience.

"Vous semblez bien petite pour une créature de la rivière. Et vos cheveux ne sont pas de la couleur noir comme le bois d´ébène. Mais vous n'en êtes pas moins ravissante".

Il avait achevé sa phrase en s'approchant d'elle après avoir déposé la scelle sur une étagère qui se situait à l'entrée de la grange. Pour une petite personne, elle était fort jolie, mais c'était surprenant de la voir se promener seule. Surtout dans cette partie là de leur monde.

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

Le jeune homme semblait étonné de la voir en ce lieu, ce qui était normal étant donné qu'elle-même ne savait pas ce qu'elle y faisait. Apparemment, il la prenait pour une cliente désireuse d'acheter un... Myrtille ne parvint pas à se souvenir du mot qu'il avait employé. Un mot bien curieux qu'elle n'avait jamais entendu. Elle préféra ne pas s'attarder là-dessus, s'étirant dans la paillasse avant de poser ses pieds nus par terre pour se relever. Le contact avec la terre sèche la fit étrangement frémir, car elle n'était pas habituée à ce contact. Elle secoua légèrement ses cheveux dans lesquels étaient piqués du foin et posa de nouveau les yeux sur l'inconnu, prenant subitement conscience qu'elle était en pyjama devant lui. C'était une drôle d'impression. Elle n'avait pas pour habitude de montrer ses pyjamas à n'importe qui.

Elle suivit du regard le grand cheval noir qui alla boire dans un tonneau, non loin d'elle. Nullement angoissée par la proximité de cet animal, elle fut même tentée d'aller le caresser. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit. Elle aimait beaucoup les animaux, et elle savait très bien que les chevaux n'étaient pas dangereux. Elle s'approcha donc de lui et tendit la main vers son museau afin de le caresser. Il avait un pelage tellement doux ! Myrtille en fut toute étourdie, comme si elle avait la main sur du cachemire ou de la soie. Le cheval, docile, levait la tête dans sa direction. Pour un peu, la jeune fille aurait pensé qu'il allait ronronner. En penchant la tête sur le côté, elle remarqua alors une protubérance sur son flanc, comme quelque chose de replié. Elle fronça les sourcils, se concentrant davantage sur cette particularité, mais le jeune homme reprit la parole, la sortant de ses pensées. A présent, il la prenait pour une créature de la rivière. Son rêve était vraiment étrange, mais également flatteur étant donné sa dernière phrase. Myrtille ne put s'empêcher de sourire tout en se redressant avec une certaine fierté. Le jeune homme s'était approché, même s'il gardait une distance convenable avec elle.

Je ne suis ni une cliente potentielle ni une créature de la rivière." dit-elle avec un petit rire. "Je suis une fille comme vous... Enfin, je veux dire une humaine comme vous !"

Eh oui, son manque total de sociabilité se traduisait dans ses rêves aussi. Autant dire que c'était plutôt grave dans sa tête. Mais Myrtille s'en fichait pour une fois ! Après tout, elle était en train de dormir, elle avait donc tous les droits et ferait ce qui lui plairait !

"Hum... j'ai très envie de monter sur le cheval. Et après, je crois que je vous embrasserai, parce que vous me plaisez." dit-elle sans vergogne au jeune homme qui n'était après tout qu'une expression de son imagination.

Pourtant, le rêve en décida tout autrement, ce qui était vraiment curieux étant donné que c'était justement un rêve. Au moment où elle glissa son pied dans l'étrier et qu'elle prit appui sur le dos du cheval pour monter dessus, celui-ci se cambra brusquement et l'envoya voler un mètre plus loin. Myrtille atterrit sur les fesses, sonnée et outrée que son rêve n'en fasse qu'à sa tête. Elle voulut se relever d'un seul coup, bien décidée à renouveler l'expérience, mais une douleur fulgurante irradia alors le bas de son dos jusqu'à ses jambes. Elle lâcha un cri et se recroquevilla sur le sol terreux.

Une terrible certitude apparut soudain devant ses yeux ébahis, et elle enveloppa alors le cheval, le jeune homme et même la grange d'un regard neuf et terrorisé : et si c'était vrai ? Et si elle était dans la réalité, mais une autre ? Après tout, on n'est pas censé avoir mal dans un rêve...

"Où... Où suis-je exactement ?" demanda-t-elle tout en déglutissant avec peine. "Oh, et oubliez tout ce que j'ai dit. C'était idiot. Je ne veux pas vous embrasser. Je préfèrerais mieux embrasser ce maudit cheval caractériel !"

La Rêverie est la Vapeur de la Pensée

Siobhán avait sentis un léger frisson le parcourir. Une main était venue se frotter contre son corps. Il pouvait ressentir les moindres parcelles de peau. Son sang afflué de toutes parts, bouillonnant, se cognant contre ses tempes. La sensation que lui procurait les doigts de la jeune femme tout contre lui étaient indescriptibles. Fort heureusement, elle s'était arrêtée de le caresser, ou plutôt de passer ses mains contre sa monture. Car à aucun moment elle avait touchée le jeune garçon, mais ce dont elle ignorait très certainement, c'était que le Voliquus, et son maître étaient bien plus liés qu'un ordinaire cheval avec son cavalier.

Tout ce que l'animal ressentait, le jeune homme le ressentait également, et il était encore tout étourdis quand elle s'était mise à lui parler, puis à tenter de monter sur le Voliquus. Il aurait bien aimé lui en empêcher, mais l'excitation de l'animal qui se sentait menacée était venue jusqu'aux oreilles de Siobhán. Et il ne pouvait pour ainsi dire, rien faire, si ce n'était de tenter de calmer l'animal par la pensée. D'ailleurs une fois la jeune fille à terre, la magnifique créature se stoppa net, alors que d'ordinaire, elle aurait sans doute voulue écraser son agresseur.

Désormais, la jeune fille était à terre en proie à une vive douleur. Siobhán avait jeté un œil autour de lui car un affreux doute le rongeait. Et si on lui faisait une farce ? Car pourquoi la jeune femme ne se souviendrait elle pas d'où elle était ? A moins qu'elle avait perdue la mémoire ? Ça ne serait pas la première fois qu'une personne serait touchée par cette malédiction. Elle avait cependant quelque chose de bizarre dans la voix. La jeune inconnue parlait comme si elle avait peur de rien, comme si ce qu'elle dirait ne provoquerait aucune mauvaise réaction chez la personne se trouvant face à elle. Était elle folle ?

"Admettons que vous ne savez pas où vous êtes, et que vous n'avez pas envie de m'embrasser. Au passage, vous ne savez pas ce que vous loupez, car j'embrasse à merveille."

"Cela dit, ça n'a pas d'importance pour le moment. Vous venez d'Orthancia ? C'est le dernier royaume où se trouve encore des êtres humains comme vous et moi. En dehors d'ici bien évidemment."

Tout en parlant, il s'était approché d'elle, et il s'était accroupie une fois arrivé à sa hauteur. Il y avait de drôles de dessins sur ses vêtements. De qu'elle tribu pouvait elle bien venir ? Ils vénéraient d'étranges créatures. Au moins les Voliquus étaient beaux et nobles, tandis que ceux dessinés sur ce qu'elle portait, ressemblaient à de gros nuages. Peut être qu'elle venait des cieux ? Le pays de leur dieux ? Mais elle ne leur ressemblait pas.

"Laissez vous faire."

Il avait pris la main de la jeune femme sans qu'elle puisse réagir, et il l'avait posée dans son autre main, à plat. Puis, il avait passé sa première main au dessus de la jeune femme à une distance raisonnable. Son regard avait croisé celui de Myrtille, et il s'était permis de contempler ses magnifiques yeux. Il ne voulait pas la regarder ainsi, mais c'était le seul moyen pour que le lien se créé... Une petite lumière blanche était apparue entre la main de Siobhán et celle de la jeune femme. Une sorte de petite flamme blanche qui ne brûlait pas la peau. Elle devait surement ressentir quelque chose en cet instant, et elle allait très certainement commencer à s'agiter. C'est pour cela qu'il avait posé sa main entièrement sur celle de la jeune femme, passant à travers la flamme par la même occasion. Cette dernière se trouvait désormais en haut des deux mains, trois si on comptait celle sur laquelle reposait la main de Myrtille. Et la flamme prenait tout doucement la forme d'un animal. Un Voliquus en taille miniature. Ca devait être un spectacle magnifique la première fois où on le voyait...

"Détendez vous, laissez le faire..."

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

Il s'était passé bon nombre de choses depuis qu'elle était arrivée dans cet endroit, mais rien, absolument rien n'avait plus d'éclat que ce magnifique petit animal qui prenait forme au-dessus de leurs mains jointes. Il semblait fait entièrement d'une brume vaporeuse et argentée, et prenait peu à peu la forme d'un cheval galopant dans le vide, sa crinière translucide volant au vent.

"Comment... Comment...?" balbutia Myrtille, observant ce spectacle étonnant à travers ses yeux ébahis.

C'était de la très belle magie. Elle n'avait encore jamais vu personne en produire sans baguette, hormis les enfants, mais le jeune homme était bien loin d'en être un. D'ailleurs, lorsque la petite flamme était apparue dans sa main, Myrtille avait senti une chaleur partir de sa paume et se répandre dans tout son corps. Tout d'abord, cela avait été agréable, réconfortant en quelque sorte, puis la simple petite chaleur était devenue une brûlure très vite insupportable. La jeune fille lança un regard paniqué au jeune homme, se disant que ce n'était que ce qu'elle méritait : après tout, on ne laisse pas un inconnu nous toucher ! Mais celui-ci, comme s'il avait ressenti sa souffrance, avait posé son autre main sur la sienne. La flamme était alors devenue un cheval flottant à quelques centimètres au-dessus de leurs mains jointes, et la sensation de douce chaleur était revenue. A présent, elle apaisait chacun de ses muscles contractés, réparait ce qui était brisé. Elle sentit la douleur lancinante disparaître dans son dos. Ce qui était cassé n'était plus. Elle inspira profondément et, levant les yeux vers le jeune homme, elle demanda alors, les sourcils froncés :

"Qui êtes-vous exactement ? Et je vous préviens, si vous me sortez encore un mot que je ne comprends pas, je vous arrache vos beaux yeux et je les fais manger à votre cheval !"

Voilà une sacrée menace ! Elle pouvait paraître risible, mais quant on connaissait les fréquentations de Myrtille, qui incluait notamment une vampire âgée de plusieurs siècles et adepte des tortures les plus folles, on savait qu'elle était capable de tout.

"Merci." dit-elle quand même tout en lui lâchant la main afin de prendre appui sur le sol pour se relever.

Elle se sentait un peu bizarre après tout ça. Comme si quelqu'un était entré dans un endroit rien qu'à elle. En quelque sorte, le jeune homme avait fait irruption chez elle en la guérissant sans lui demander son avis. Malgré tout, elle ne pouvait lui en vouloir, elle lui en était même reconnaissante, car sans lui, elle aurait sûrement dû aller à l'hôpital pour apprendre qu'elle s'était cassée le coxis.

Elle observa la grange une nouvelle fois, les mains sur les hanches. Peu à peu, elle se faisait à l'idée qu'elle était bel et bien entrée dans un autre monde. Elle ne savait pas comment, et surtout, elle ignorait la façon dont elle pourrait rentrer chez elle, mais elle ne s'en souciait pas pour le moment. Elle avait appris depuis longtemps à vivre au jour le jour. Le fait de ne pas vraiment avoir de vie de l'autre côté la confortait dans l'idée de rester dans ce monde-ci le plus longtemps possible. Se tournant de nouveau vers le jeune homme, elle demanda soudain avec un grand sourire :

"Bon, vous voulez bien me faire visiter les alentours ? Je suis un peu comme une... touriste, si vous voulez. ça doit se voir à cause de mes vêtements. D'ailleurs, vous n'en auriez pas des moins voyants ?"

Elle désigna son pyjama et fit une grimace.

La Rêverie est la Vapeur de la Pensée

"Vous êtes ravissante..."

Il y avait quelque chose de frissonnant dans le son de sa voix. Il avait prononcé ces mots vrais, ces mots qu'on dit avec le cœur, sans savoir pourquoi, ou sans en comprendre le sens. Il savait juste qu'il avait dit mot à mot ce qu'il avait ressentis en la voyant vêtue ainsi. Car quand la jeune femme avait demandée à Siobhan s'il avait une autre tenue que ce qu'elle portait, tout doucement, avec un soupçon de magie, des bottes étaient apparus sur ses pieds, un pantalon légèrement retroussé en bas, une ceinture avec un petit fourreau où devait se trouver une épée. Son haut était recouvert d'un chemisier avec une sorte de bustier. Et pour une fois, le jeune homme y était pour rien.

"Pardonnez moi."

Il avait légèrement incliné la tête, regardant vers le sol, se sentant un peu gêné d'avoir prononcé si haut, ce qu'il pensait si bas. Mais elle était véritablement ravissante dans cette tenue. Siobhan savait très bien qu'il n'avait pas fait apparaître ces vêtements, mais ça ne le surprenait pas qu'ils étaient apparus comme par magie. Après tout, ils étaient dans un monde différent de celui de la jeune fille, n'est ce pas ? Peut être qu'ici, la magie se pratiquait autrement.

"Venez, je vais vous montrer où vous êtes."

Il avait accepté le fait qu'elle ignorait tout du lieu où elle se trouvait. Il ne comprenait pas encore comment elle avait fait pour se retrouver dans cette tente, mais après tout, laissant le temps faire, et il finirait par comprendre. Il était quelqu'un de très simple, et il lui en fallait peu pour se laisser convaincre. Il n'était pas naïf, mais il aimait laisser faire le temps. Ca lui avait beaucoup servis par le passé d'être patient.

Une fois en dehors de la tente, ils avaient entrepris de marcher le long d'une route tracée dans la plaine qui s'étendait devant eux. Une colline se tenait là, et il voulait qu'elle la monte avec lui. Il y avait un grand soleil. Un grand soleil tapant. Tapant sur ces deux personnes. Tapant sur ce monde immense qui s'étendait à leurs pieds. Car une fois en haut de la colline, Myrtille pouvait contempler la vue au loin. Il y avait plusieurs plaines, les unes plus grandes que les autres. Des troupeaux de Voliquus étaient sur certaines d'entre elles. Et on pouvait apercevoir un village. Il n'était pas très grand mais ça ne l'empêchait pas d'être ravissant. Ce qui était sans nul doute le plus magnifique sur ce tableau, c'était cette majestueuse Citée que l'on pouvait apercevoir au loin. A plusieurs heures de marches, ou à quelques minutes à vol d'oiseau. Une Cité que Siobhan contemplait souvent. Elle était recouverte d'un immense manteau blanc, et on ne distinguait pas très bien son étendue d'ici, mais elle semblait être la plus belle chose qu'on pouvait espérer voir dans sa vie.

"Voltéria. L'Empire des Voliquus et de leurs dresseurs. Et au loin là bas, c'est la Cité où vivent nos rois et reines. Le petit village que vous pouvez voir, c'est Astéria. L'une des dernières villes libres des environs. La plupart des sorciers ont immigrés à la Cité. Là bas ils y sont en sécurité."

Elle voulait savoir où elle était, voilà qui était fait. Il restait à savoir ce qu'elle pensait de tout ça. Ensuite il pourra lui poser les questions qui lui trottent dans la tête...

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

A peine Myrtille avait-elle demandé des vêtements que de petites étincelles étaient apparues autour d'elle. Espiègles, elles formaient des cercles autour de ses mains, de ses bras, de ses jambes, de sa taille, ressemblant à de minuscules oiseaux de lumière. La jeune fille resta perplexe devant un tel spectacle, et n'eut même pas la présence d'esprit d'avoir peur. Elle se sentait étrangement en confiance face à cette forme de magie, comme si elle la connaissait... C'était une curieuse sensation. Les oiseaux de lumière disparurent, voletant jusqu'au plafond pour exploser tel un feu d'artifice silencieux sans aucune retombée. Interdite, la jeune fille baissa la tête pour s'observer, et laissa échapper une exclamation en voyant le résultat : son pyjama avait disparu, remplacé par un élégant pantalon assez large et confortable, ainsi que par une chemise blanche et un bustier élégant. Elle portait un fourreau à sa taille, dans lequel était sagement rangé une petite épée particulièrement tranchante. Les bottes qu'elle avait aux pieds possédaient une texture si douce qu'elle avait l'impression de marcher sans rien.

Une petite rougeur apparut sur ses joues lorsqu'elle entendit le jeune homme la complimenter sur sa tenue, mais elle préféra ne rien répliquer. De toutes façons, elle ne savait que faire en ce genre de circonstances. Elle ne se souvenait pas que quelqu'un lui ait déjà dit qu'elle était jolie, par le passé.

Elle le suivit lorsqu'il lui proposa de lui montrer où elle se trouvait. Ils marchèrent un moment le long d'un chemin caillouteux, au milieu d'une plaine déserte, puis montèrent sur le flanc d'une colline. Le soleil était à son zénith. Il déversait ses rayons sur un paysage magnifique et enchanteur. Un troupeau de chevaux noirs galopaient en contrebas, en totale liberté, et au loin, la silhouette d'un somptueux château se découpait sur l'horizon. Ses toits d'un blanc immaculé émerveillèrent Myrtille qui resta bouche bée un instant, ébahie par ce monde nouveau qu'elle souhaitait visiter de toute urgence. Elle voulait en connaître les moindres recoins, s'y perdre pour toujours. Oui, faites qu'on m'oublie et que je coure toute ma vie dans cet océan de verdure, parmi les chevaux noirs de jais...

Le jeune homme lui expliqua ce qu'était ce fabuleux palais. Il s'agissait d'une cité où vivait des rois et des reines... Rien que d'y penser, ça faisait rêver !

"Venez, on y va !" s'écria-t-elle soudain, retrouvant l'usage de sa voix.

Et, sans attendre vraiment de réponse de sa part, elle se mit à courir le long du flanc de la colline, les bras grands ouverts comme si elle volait. D'ailleurs, elle avait l'impression que ses pieds ne touchaient plus le sol. Se laissant envahir par ce sentiment de liberté, elle ferma les yeux et rejeta la tête en arrière. Elle savait que son corps ne pouvait s'écraser contre aucun mur, aucun obstacle. Il n'y avait rien devant elle. Rien hormis cette plaine verdoyante.

Lorsqu'elle souleva les paupières, quelques secondes plus tard, elle eut un instant de perplexité totale. Puis, elle poussa un cri lorsqu'elle se rendit compte que ses pieds se balançaient dans le vide. Elle volait réellement. Mais ce n'est pas de son fait. Non, quelque chose l'avait saisi par la taille, aussi doucement qu'une caresse, et la maintenait à présent à une vingtaine de mètres au-dessus du sol. En levant la tête, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'un espèce de dragon abominable. D'un marron terreux, il ne possédait qu'un unique oeil jaune qui fixait l'horizon d'un air menaçant. Myrtille essaya de se dérober de la serre puissante qui la tenaillait, mais en vain. Elle était prise au piège.

"Au secours !" cria-t-elle aux cieux.

Elle ne savait qui pouvait l'aider. Peut-être ce jeune homme qu'elle avait rencontré, mais que pouvait-il faire puisqu'elle était hors de portée ? Des ailes allait-il pousser sur lui aussi ?

"Lâche-moi, sale bête !" hurla-t-elle à la bestiole qui l'agrippait.

Celle-ci ne se montra pas particulièrement magnanime, prenant un plaisir sadique à resserrer sa patte énorme autour de sa taille.

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"On y va ??"

Siobhan avait répondu à la jeune femme avec un grand sourire. Elle était quelqu'un de très surprenante. Elle ne savait pas où elle était. Il venait de lui dire qu'elle était entouré de choses merveilleuses, mais également dans un endroit dangereux. Et elle ne voulait qu'une chose, se précipiter tête baissée vers le magnifique palais qui s'élevait au loin. Une intrépide petite personne dans laquelle bouillonnait une boule d'énergie inépuisable, car elle semblait véritablement en fusion.

"Vous avez beau battre des ailes, vous n'allez pas vous envoler."

Il avait crié cela à la jeune femme avec son magnifique sourire amusé. Elle courait au loin, et elle semblait vouloir s'envoler. Qui n'en aurait pas envie, n'est ce pas ? Mais sans un Voliquus, elle aurait un mal fou à prendre son envole. Et justement, en parlant de ça, une ombre passa à quelques centimètres au dessus de la tête de Siobhan. Cela dit, il ne s'agissait pas d'un Voliquus, mais d'un Kramcha. Une horrible créature ressemblant de très près à un dragon, mais avec un unique oeil jaune qui permettait à son maître de voir à travers. Ces animaux étaient aveugles et ne se repéraient qu'aux odeurs et aux ordres de leurs propriétaires.

"ATTENTION !! Mettez vous à terre !!"

Il avait beau crier, la jeune fille était déjà en train de s'élever dans les airs, et elle ne devait plus entendre ce qu'il disait. Il lui fallait faire vite, car ces créatures pouvaient voler très vite, et être très loin en très peu de temps. Sans compter qu'ils se déplaçaient toujours à plusieurs. Siobhan jeta un oeil derrière lui, et il cria à son Voliquus de le rejoindre.

"Vite ! Dépêche toi !" cria t'il à l'animal juste après qu'il soit passé à côté de lui, et que Siobhan eu le temps de lui sauter dessus.

Le cheval galopait à plusieurs mètres en dessous de la créature qui prenait de plus en plus d'altitude. Et pendant que Siobhan tentait de sortir son épée de son fourreau, il vit au loin une autre créature se dirigeait sur eux. Bon d'accord, il était armé, et il avait sa monture, mais si cette deuxième créature se dirigeait sur lui, ça ne voulait dire qu'une chose. Il devait l'empêcher de poursuivre l'autre, ce qui signifiait qu'ils étaient bien au service de quelqu'un et non en liberté, et que cette jeune personne devait grandement intéresser celui qui avait envoyé ces créatures.

"Luminos !" cria Siobhan en pointant son épée en direction de l'animal qui n'était plus qu'à quelques mètres de lui, pendant que son Voliquus continuait à galoper, et prenait de plus en plus de vitesse.

L'épée du jeune garçon se mit à briller comme un soleil, et la pointe extirpa un jet de lumière blanche qui s'élança en direction de l'animal. Ce dernier fut englobé d'une immense clarté blanche. Ca semblait l'affecter, car il s'était mis à battre des ailes de plus en plus vite, et à tourner dans tous les sens, comme si cette lumière l'avait aveuglée. Siobhan, quand à lui, il avait baissé son épée, et il l'avait rangée dans son fourreau. La lumière ne s'était pas éteinte pour autant.

"Vas y ! C'est le moment ! Rattrape la ! Fait nous voir les étoiles !"

Et à peine sa phrase fut achevée, que les formes étranges sur les côtés de l'animal, comme avait pu le voir Myrtille à son arrivée dans la grange, se mirent à bouger, à sortir de sous la peau de la créature, et à se transformait en deux magnifiques et grandes ailes noires. Cette fois ci le Voliquus ne galopait plus. Il volait !

Bien agrippé sur l'animal, Siobhan avait ressortis son épée une fois dans les airs, et il avait pointé la créature qui tenait Myrtille entre ses pattes. Il lui fallait un plan. Quelque chose qui lui permettrait de récupérer la jeune femme, sans avoir besoin de lancer le moindre sort qui pourrait la blesser. Mais rien lui était venu à l'esprit, car ça semblait être une mission périlleuse. Il allait lui falloir attendre que l'animal décide de se poser, et qu'il relâche la jeune femme. Dans un affrontement, il aurait plus de chance qu'en vol. Mais là où il la conduira, ça sera sans doute dans l'un de ses nids, et il y aurait d'autres créatures comme lui, beaucoup d'autres d'ailleurs. Mieux valait la libérer avant, quel qu'en soit le prix. Et tout à coup, une idée lui était venu à l'esprit. Ils allaient survoler un immense lac, laissant loin derrière eux la Cité Blanche. C'était maintenant ou jamais.

"Approche toi suffisamment de lui. Vas y mon grand !"

Une fois à la hauteur du faux dragon, Siobhan fit apparaître un jet de lumière blanche de sa baguette, qui comme pour le premier, illumina le dragon, le plongeon dans une obscurité totale, même si la lumière était bien vive pour les autres. L'animal relâcha son étreinte sur la jeune femme, qui glissa le long de ses griffes et fit un plongeon en direction de l'eau.

"Occupe toi d'eux, je m'occupe d'elle !"

Le Voliquus piqua une tête en direction de l'eau, et de la jeune femme qui poursuivait sa chute. Siobhan se laissa tomber le long de l'animal, et entreprit également la chute. Une fois bien élancé, le Voliquus remonta et se dirigea vers les deux créatures. La première avait repris ses esprits, tandis que la seconde était encore en proie à la lumière aveuglante. Quand à Siobhan, il tenait toujours fermement son épée dans une main, et il était à deux doigts de rattraper la jeune femme, pour mieux s'écraser tous les deux sur l'eau. Car même s'il s'agissait d'un lac, leur rencontre avec l'eau leur serait fatale.

"A-c-c-r-o-c-h-e t-o-i-"

A cette vitesse, il ne pouvait quasiment pas parler. Et une fois à la hauteur de la jeune femme, il passa sa main de libre autour d'elle, la propulsant encore plus vite vers leur dessein, vue qu'il allait plus vite qu'elle. Et ensuite, le trou noir. Si quelqu'un se serait trouvé près d'eux, il aurait été éclaboussé par toute l'eau qui s'était élevée dans les airs au moment où les deux corps des jeunes personnes avaient touchés l'eau. Ils s'étaient sans doute noyés, leurs os avaient dû se briser, et elle l'avait embrassé au moment où il s'était allongé sur le sable... HeIn ? QuOi ?

Elle avait déposé un doux baiser sur ses lèvres, puis, elle s'était reculé pour mieux le contempler. Tandis que son amie s'était contentée de déposer la jeune femme sur le rivage. Il allait leur falloir plusieurs minutes pour reprendre leurs esprits et comprendre ce qui s'était passé. Car en réalité, juste au moment où Myrtille et Siobhan avaient touchés l'eau, le sortilège lancé par le jeune garçon avec son épée, avaient amortis leur chute, ce qui ne les avaient pas empêchés de se retrouver à plusieurs mètres sous la surface de la terre et à perdre connaissance. Mais les douces créatures à queue de poisson qui vivaient dans ce lac les avaient repêchés et reconduit jusqu'au rivage. Myrtielle était désormais sauvée, tout comme Siobhan , ce qui rendait heureuse l'une des deux sirènes, celle qui s'était occupé du jeune homme.

"Bonjour..." avait il dit en reprenant ses esprits, juste après avoir été réveillé par le bisou de la belle.

"Vous avez une drôle de façon de réveiller les gens..."

Elle avait déposé un doigt sur la bouche du jeune homme, sans doute pour lui indiquer qu'il devait reprendre des forces avant de parler. Puis, elle avait posé sa main sur le torse de Siobhan. Allait savoir comment il avait fait pour perdre son haut pendant la chute, quoi qu'il en soit, il était torse nue. Et la jeune femme continuait à lui caresser le torse. On aurait pu penser qu'elle faisait ça par plaisir, mais en réalité, elle le ressourçait, tout comme l'autre sirène était en train de faire avec Myrtille. Bon d'accord, la seconde se contentait de toucher la main de Myrtille, tandis que la première touchait le torse de Siobhan, mais bon... Chacun sa méthode, n'est ce pas ?

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

C'en était fini d'elle. Myrtille s'imaginait déjà mourir dans ce monde inconnu, sans personne pour pleurer sur sa tombe... De toutes façons, elle n'aurait manqué à personne dans sa réalité non plus. Cette dernière pensée la rendit immensément triste. Mourir à seize ans, en ayant la conviction de n'avoir marqué aucun autre être humain, de s'être contentée de vivre sans projet ni but, c'était profondément déprimant. Si elle avait été de méchante humeur, elle aurait certainement tendu le cou pour que le dragon la décapite d'un coup de griffe, histoire d'en finir, mais elle se sentait revigorée par un nouveau souffle. Non, elle ne pouvait pas mourir sans avoir vécu ! Ce serait une tragédie de trop dans son existence !

Elle gigota une nouvelle fois dans la patte du monstre, fermement serrée autour d'elle, mais aucune échappatoire ne se présentait à elle. L'envie de vivre était sérieusement compromise, mais pas diminuée pour autant. Il lui aurait quand même fallu un petit coup de main, là... Sa situation était des plus désespérées, et elle ne s'arrangea guère lorsqu'elle vit que le dragon volait à présent au-dessus d'un lac. Sa chute serait mortelle si elle heurtait l'eau de cette hauteur.

Elle en était là de ses réflexions lorsqu'un grand cheval ailé surgit dans son champ de vision. Un jeune homme était monté dessus, brandissant une épée à la manière d'un preux chevalier. C'était quoi ce délire ? Plissant les yeux, elle reconnut le dénommé Siobhán, ainsi que son étrange cheval noir... à qui de belles et longues ailes étaient poussées ! Perplexe, elle en oublia un instant sa propre situation. Cette image de cheval volant éveilla quelque chose de profondément enfoui dans sa mémoire. Elle se souvint alors de ses dessins de petite fille, remplis eux aussi de chevaux ailés et noirs, sur lesquels était toujours monté un garçon solitaire, avec les cheveux en bataille... Elle cligna des yeux et retint un cri lorsqu'un grand jet de lumière se dirigea droit sur elle. Elle baissa les paupières, s'attendant à être éblouie, mais au contraire, elle fut happée dans une obscurité complète. Qui s'amusait à éteindre la lumière ? C'était casse-pieds là, franchement ! Le dragon émit un grognement et à sa grande surprise, elle se rendit compte qu'il l'avait lâchée ! A présent, elle se dirigeait droit vers l'eau calme, cet immense lac qui lui semblait si petit de là où elle était... Mais il se rapprochait très rapidement. Dans moins d'une minute, elle allait en percuter violemment la surface, son crâne allait imploser dessus ainsi que le reste de son corps... Mais pourquoi pensait-elle à de telles atrocités en cet instant ? Pourquoi se devait-elle toujours de tout imaginer avant que cela n'arrive ?

Soudain, elle entendit qu'on lui criait quelque chose dans les oreilles, mais avec le vent qui sifflait à l'en rendre sourde, elle n'en saisit pas un mot. Puis, Siobhán s'accrocha à elle, lui mettant pratiquement son épée sous la gorge. O_o C'était toujours agréable... Surtout que sa tentative de sauvetage était plutôt nulle, étant donné qu'ils tombaient encore plus vite depuis qu'il l'avait rejoint.

"BON SANG !" cria-t-elle, sa voix déformée par la terreur et le vent qui s'engouffrait dans sa bouche. "ON T'A JAMAIS APPRIS LA LOI DE LA PESANTEUR ??!"

Elle n'eut pas le temps de l'enguirlander davantage, car à cet instant précis, elle eut l'impression de perdre connaissance. Ou plutôt, de ne pas suivre tout ce qui se passait. Avec du recul, tout lui sembla parfaitement clair, mais sur le moment, elle aurait eu besoin d'un décodeur.

Lorsqu'elle s'éveilla, elle cracha de l'eau plusieurs fois, puis retrouva peu à peu une respiration normale alors que ses yeux détaillaient le nouveau paysage qui s'offrait à sa vue. Elle se trouvait sur une rive du lac, allongée dans l'herbe intensément verte. Elle poussa un petit cri en se rendant compte que quelqu'un était penché au-dessus d'elle. Elle se recula brusquement, mais la créature ne lâcha pas sa main pour autant. Elle possédait étonnamment de force pour quelqu'un de si chétif. Il s'agissait d'une sirène, squelettique et magnifique. Les mannequins terriens n'avaient rien à lui envier. Les écailles qui recouvraient l'endroit où auraient dû se trouver ses jambes luisaient d'un éclat bleu vert, hypnotisant. Ses paupières étaient de la même couleur, de même que ses lèvres. D'ailleurs, en tournant la tête sur le côté, Myrtille s'aperçut que certaines ne se gênaient vraiment pas.

L'autre sirène, qui s'occupait de Siobhán (qui avait perdu son haut pour une obscure raison), venait en effet de détacher ses lèvres des siennes, dans une tentative un peu trop facile pour le réveiller. Myrtille sentit quelque chose se pincer dans ses entrailles, sans qu'elle puisse identifier de quoi il s'agissait, et ne put s'empêcher de fixer la main de la sirène sur le torse du jeune homme d'un oeil soupçonneux. En plus, il paraissait être content de tout cela ! Elle n'imaginait pas qu'il serait du genre à folâtrer avec des sirènes, mais après tout, c'était sa vie !

"Merci beaucoup." dit-elle avec reconnaissance à la sirène qui s'était occupée d'elle, car elle venait de comprendre que les créatures venaient de les sauver de la noyade. "Bon, on y va ?" ajouta-t-elle à l'adresse du jeune homme.

Celui-ci ne semblait pas décidé à partir, mais il le fallait pourtant. Ils n'allaient tout de même pas camper là ! Se remettant sur ses jambes, elle prit ses cheveux dans ses mains pour les essorer quelque peu, puis posa celles-ci sur ses hanches en constatant que Siobhan n'avait pas bougé d'un pouce.

"On y va, j'ai dit !" dit-elle d'un ton un peu plus autoritaire. "Merci mesdemoiselles, c'est vraiment très gentil de votre part de le... déshabiller !"

Le dernier mot s'étrangla dans sa gorge, et elle écarquilla les yeux, perplexe devant ce spectacle. Les deux sirènes, gloussant en choeur, avaient entrepris d'enlever les bottes et le pantalon du jeune homme, et celui-ci se laissait faire, apparemment aux anges !

"Non mais ça va pas ?" s'écria-t-elle. "Vous ne pouvez pas faire ça ! Et toi, réagis, enfin !"

Parler à Siobhan était comme s'adresser à un mur. Un air béat et légèrement abruti était collé sur son visage. Une rage sans précédent s'empara alors de Myrtille qui serra les poings. Elle détestait lorsqu'elle avait l'impression qu'elle parlait dans le vide, que personne ne l'écoutait. ça se passait déjà comme ça dans la réalité, alors, hors de question que ça se déroule de la même manière dans un autre monde !

Elle ne sut pas vraiment ce qui se passa ensuite. C'était comme si sa colère était devenue palpable, captant l'attention des deux créatures. Les sirènes cessèrent soudain leur jeu, se tournèrent vers Myrtille avec de grands yeux emplis de panique, et, même si cela paraissait incroyable, de servitude. Puis, elle se lancèrent un regard entendu et sautèrent dans le lac, disparaissant dans l'eau trouble.

Myrtille, surprise que sa propre audace ait fonctionné sur des créatures aussi merveilleuses, s'agenouilla à côté de Siobhan, qui avait retrouvé ses esprits. Elle ne s'aperçut pas que le médaillon qu'elle gardait toujours sur elle, contre son coeur, avait dispensé un peu de lumière dorée, exactement au moment où sa colère transparaissait.

"Alors, ça va mieux ?" demanda-t-elle en lui jetant un regard exaspéré. "Encore un peu, et tu serais devenu leur petit sushi adoré... Heureusement que j'étais là ! Bon, c'était quoi ce truc qui m'a attaqué, tout à l'heure ?"

La Rêverie est la Vapeur de la Pensée

Elles avaient déboutonnées sa chemise, retirés ses bottes, et commencés à le défaire de son pantalon. Elles avaient un charme envoutant, empêchant Siobhan d'agir et de les stopper dans leur élan. Cela dit, il n'en avait pas véritablement envie. Un homme au proie à de si nombreuses et jolies jeunes femmes faisait forcément ressortir ses points faibles, ses plus grands vices. Tout ce qui pouvait enrager une jeune femme qui se tiendrait là, et qui n'aurait aucune envie d'agir de la sorte ou d'assister à un tel spectacle.

"Vous partez déjà ?? Mais vous n'avez pas tout déboutonné ! Revenez !"

Un homme restait un homme. Quand la dernière de ces magnifiques créatures était entrée en contact avec l'eau, Siobhan avait été réveillé d'un sursaut, par un très beau rêve. Ce qui était rarement le cas, mais comme son esprit avait été contrôlé par une force extérieure, ce magnifique rêve aurait pu être son pire cauchemars. Heureusement pour lui, les sirènes n'avaient pas eu envie de le dévorer, ou du moins pas comme elles le faisaient d'habitude.

Siobhan était resté plusieurs minutes allongé, occupé à remettre ses idées en place. Puis, il avait pris l'initiative de se lever, de remettre son pantalon et d'enfiler ses bottes. Quand à sa chemise, elle était restée ouverte. La jeune fille était encore agenouillée là où il se tenait auparavant. Il lui avait adressé un petit sourire tout en se relevant, et il lui avait fait une bise sur le front. Ce geste symbolisait un merci pour lui. Car même s'il était aux anges, il savait très bien que les sirènes avaient un petit côté menthe religieuse, et elles en auraient sans doute fait qu'une bouchée, une fois sa contribution achevée.

"Généralement ils ne s'attaquent pas aux voyageurs. Enfin, pas sans raison... A votre place je ferai un peu plus attention la prochaine fois. D'ailleurs, vous ne devriez pas quitter le chemin, et continuer à marcher à mes côtés. Ça sera moins dangereux."

Il avait levé les bras en l'air, et il avait fait de grands signes. Plusieurs secondes étaient passées avant que des battements d'ailes se firent entendre et qu'un animal était venu se poser à ses côtés. Son magnifique Voliquus les avait rejoint. Ils allaient pouvoir continuer leur chemin en direction de la grande et merveilleuse Cité Blanche. Il se demandait bien ce qu'ils pourraient faire une fois sur place, car elle allait devoir présenter des papiers qu'elle ne semblait pas avoir sur elle. Les gardes du Roi l'arrêteraient surement pour la questionner, et ils le payeront pour l'avoir amené jusqu'à eux. Après tout, il n'était pas responsable de ce qui allait arriver, n'est ce pas ? Elle lui avait demandé de l'accompagner jusqu'à la Cité, et c'était ce qu'il faisait. Cela dit, mieux valait qu'il en sache le plus possible sur elle avant d'y arriver.

"Alors... Racontez moi. Vous vous souvenez de quoi ? Enfin, vous arrivez d'où ?"

Ça allait être un bon début s'il savait déjà cela. Plus le lieu serait éloigné, plus la rançon allait être grande. Mais il ne pensait pas vraiment à cela. Il préférait laisser faire les choses, et voir le moment venu. Ce qui l'intéressait pour le moment, c'était d'en savoir un peu plus sur elle, et sur ses motivations ici. Car elle était bien venue dans un but précis, n'est ce pas ? Et puis, en dehors de lui poser des questions, il allait également devoir se pencher sur la question d'où ils dormiraient ce soir. Car l'un des soleils de ce monde était sur le point de se coucher, et le second allait bien finir par le rejoindre.

"Ici, ça sera parfait."

Ils marchaient depuis déjà quelques minutes, et le Voliquus semblait bien fatigué du combat qu'il avait mené et de toute cette marche. Quand à Siobhan, il avait jugé cet endroit parfait. Après tout, ils étaient en haut d'une colline, ce qui leur offrait une belle vue sur ce qui les entourait, et en cas de danger, ils le verraient venir de loin. C'était l'emplacement idéal. Il avait sortis son épée, et il avait tracé un cercle tout autour d'eux. Une étrange chaleur s'était emparée de lui, puis sans doute de la jeune femme. Le Voliquus avait reposé ses deux pattes avant, puis il avait fait de même avec celles à l'arrière. Il était désormais allongé dans l'herbe qui se transformait petit à petit en foin. Siobhan continuait à tracer le cercle, et là où il était déjà passé, des choses apparurent. Un bout de drap, un petit tas de bois pour faire un feu... Et ainsi de suite. Il donnait vie à leur campement, mais mieux valait garder des forces au cas où, donc il s'était arrêté au strict minimum. Cela dit, il pouvait peut être encore utiliser un tout petit peu de forces pour faire apparaître cette chose sur les draps, non ?

"Elle vous tiendra chaud pour la nuit."

Il s'agissait d'une couverture qui semblait être plus résistante au froid que le drap qu'il avait fait apparaître. Il en avait fait apparaître qu'une, car il pouvait faire apparaître que des choses lui qui lui appartenaient. Dessus, il y avait différents petits motifs. On les avaient brodés dessus. Un Voliquus se tenait sur une plaine avec un petit garçon sur son dos. Il y avait également d'étranges oiseaux dans le ciel et une maison au loin vers laquelle il galopait. On l'avait retrouvé dans cette emmailloté dans cette couverture quand il était plus jeune. Siobhan était un enfant des étoiles, comme on le surnomait, car c'était un Voliquus qui l'avait trouvé aux abords de la grande ville, abandonné par sa famille. Le même Voliquus qui ne le quittait plus depuis ce jour...

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

Etrangement, les paroles de Siobhan concernant les affreux dragons ne rassurèrent pas du tout Myrtille. Ils ne s'attaquaient pas aux voyageurs ? Alors dans ce cas, pourquoi s'en étaient-ils pris à elle ? En quoi était-elle différente de n'importe quel touriste ? La jeune fille songea que cela devait être en rapport avec le fait qu'elle ne venait pas du même monde. Elle frissonna à cette idée, se demandant quelles autres créatures pouvaient en avoir après elle, mais ses craintes s'envolèrent alors qu'elle vit le magnifique cheval du jeune homme planer dans le ciel, dans l'or mouvant des soleils couchants (oui, il y en avait deux !), puis atterrir à côté d'eux, rabattant ses deux grandes ailes le long de ses flancs.

"Je... Je viens de bien trop loin pour que ce soit intéressant d'en parler." dit-elle d'un ton fuyant en recommençant à marcher, songeant qu'ils avaient sans doute un long chemin à faire, surtout si elle souhaitait voir toutes les merveilles de ce monde.

Elle se stoppa soudain en entendant les propos du jeune homme qui venait de sortir son épée, dessinant un grand cercle sur le sol. Elle ressentit alors une agréable chaleur l'envahir, et sut qu'il s'agissait d'un sortilège, car la pointe de l'épée brillait comme celle d'une baguette magique. Le cheval ailé s'était allongé dans l'herbe qui était devenu du foin, et se sentant submergée par une torpeur écrasante, elle eut aussitôt envie de faire de même. Siobhan avait prévu le coup : il venait de faire apparaître un drap dans l'herbe, ainsi qu'une couverture très jolie aux motifs intrigants. Myrtille fit un sourire reconnaissant au jeune homme et s'enroula dans la couverture, parfaitement à l'aise. Puis soudain, elle se redressa, étonnée :

"Tu n'en fais pas apparaître une autre pour toi ? Ou alors, peut-être que tu ne peux pas le faire ? C'est dommage, on n'aurait pas ce problème si j'avais ma baguette avec moi... Roh, je devrais dormir avec, tiens ! ça m'éviterait de me retrouver dans ce genre de situations !"

Elle tapa du plat de la main sur son front en grimaçant, puis levant de nouveau les yeux vers Siobhan, elle tendit un pan de la couverture vers lui.

"Tiens, on peut se la partager, elle est assez grande pour nous deux."

L'idée de passer la nuit collée pratiquement contre un garçon la rendait particulièrement nerveuse, mais elle n'allait tout de même pas le laisser mourir de froid ! Roulant des yeux en voyant son hésitation, elle l'attrapa par le bras sans ménagement et lui fit perdre l'équilibre, le faisant brutalement tomber sur la couverture, et sur elle, qui plus est.

"Aïe. J'avais pas prévu ça."

Très à l'aise -dans toute l'ironie de la chose- Myrtille fit rouler Siobhan sur le côté, ou peut-être s'était-il éloigné de lui-même, nous ne le saurons jamais. Quoi qu'il en soit, elle ramena la couverture jusqu'à son menton et se mit à fixer le ciel face à elle, qui était traversé par mille couleurs pastelles absolument magnifiques. La jeune fille resta de marbre face à ce spectacle, se maudissant d'avoir fait en sorte que Siobhan soit à côté d'elle car il était vraiment trop trop près. Elle qui n'avait jamais eu de contact particulier avec personne, voilà qu'elle dormait avec le premier venu ! Il y avait de quoi être sérieusement chamboulée ! Elle essaya de rester calme et se mit à réciter l'alphabet dans sa tête, pour se détendre. O_o

La Rêverie est la Vapeur de la Pensée

Pour être directe, elle l'était. Après l'avoir fait tomber sur elle, elle l'avait écarté puis s'était rapproché de lui. Bon d'accord, il y avait encore quelques centimètres qui séparait les deux jeunes gens, mais cette jeune femme avait quelque chose d'aguicheur dans sa façon de faire et d'être. Elle avait un sacré toupet pour une femme. Généralement, c'était les hommes qui montraient ce genre d'intérêt pour le sexe opposé et non l'inverse. Cependant, Siobhan se sentait très à l'aise dans ce genre de position, car c'était une habitude pour lui d'être accosté par les femmes. Les nobles, ceux qui vivaient dans la Cité, utilisaient encore les méthodes ancestrales de drague. Mais ici, dans les contrées avoisinantes la Cour, on était plutôt direct dans nos intentions. C'est pour cela que la manière dont agissait la jeune femme ne lui semblait pas surprenante. Il y avait pourtant un hic. Elle semblait bien jeune. Peut être même un peu trop.

"Pour la couverture, je ne peux en faire apparaître qu'une. C'est celle avec laquelle on m'a trouvé à l'époque. Mais on est pas obligé de la partager. Je n'ai pas vraiment très froid grâce à la chaleur issue de la magie."

Depuis qu'il avait tracé le cercle, le vent ne les atteignait plus. La couverture était plus là par habitude qu'autre chose. Soit la jeune femme était vraiment très frileuse, soit elle n'avait pas trouvé mieux pour l'attirer vers elle. Et cette seconde hypothèse avait eu pour impact de faire sourire le jeune garçon. Maintenant restait à savoir comment elle voulait procéder pour la suite. Devait il faire le premier pas ? Passer un bras autour d'elle pour faire mine de la réchauffer ? Ou devait il se contenter d'attendre qu'elle retire ses vêtements, voir retire les siens ? Il aurait dû se doucher, ça faisait bientôt trois jours qu'il n'y était pas passé, mais l'eau se faisait rare et devait être utilisée en grande partie pour se ravitailler.

"On a le droit à un magnifique ciel ce soir. Il y a même Gaia, si vous regardez bien là haut."

Il avait pointé son doigt vers un tout petit point. Il s'agissait de Gaia, du moins c'était le nom qu'on lui donnait ici. Elle représentait la Cité des Dieux. D'après les légendes, le peuple de Siobhan viendrait là bas, et c'est également dans ce lieu que vivrait le chef de la peuplade voisine. De temps en temps, on pouvait voir dans le ciel, une longue et magnifique traînée blanche quitter le point qu'ils admiraient au loin, et venir s'écraser sur la surface de la terre où ils étaient. Ca symbolisait le passage de leurs dieux vers leur monde. Ca arrivait que très rarement, mais c'était un phénomène magnifique à contempler.

"Vous avez de magnifiques cheveux..." avait il dit en passant une main dedans. Puis, il s'était reculé un peu et rassis pour retirer plus facilement sa chemise.

"J'ai lancé un sortilège de dissimulation, on ne peut pas nous voir dans le cercle. A moins que vous préférez que je l'enlève ?"

Après tout, ça dépendait des goûts. Une fois la chemise retirée, il s'était relevé totalement pour déboutonner son pantalon. Elle ne semblait pas vouloir le faire elle même, donc il avait opté pour le faire. Peut être qu'elle désirait qu'il lui retire ses vêtements aussi. C'était une pratique peu commune, car on ne devait pas toucher une femme encore habillée. C'était dans les traditions. Mais si elle lui demandait, il le ferait. Ca ne serait pas la première fois...

"Quelque chose ne va pas ?"

Il s'était interrompu dans ses gestes et ses pensées, car elle ne semblait pas apprécier ce qu'elle voyait. C'était impossible. Il était beau garçon. Alors qu'avait elle ?

"Je le savais. Désolé. Vous vouliez le faire vous même ? Je croyais avoir compris le contraire. Attendez, je reboutonne, et je vous laisse reprendre."

Tout en parlant, il avait déjà reboutonné son pantalon et il venait de récupérer sa chemise.

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

Mais que faisait-il ?
Tout d'abord, il lui avait montré les étoiles, les avait appelées par leurs noms, ce qui était très romantique en soi mais aussi très déplacé. Ensuite, il avait passé sa main dans ses cheveux. Myrtille en avait frémit, sans arriver à savoir si cela était agréable ou très effrayant. Sûrement quelque chose entre les deux. Pour finir, il s'était assis en tailleur et avait commencé à déboutonner sa chemise. A ce moment-là, la jeune fille s'était rendu compte que quelque chose lui échappait. Et qu'il était grand temps de reprendre la situation en mains.

Mais elle n'eut le temps de ne rien faire de plus que la chemise était déjà par terre, et comme le jeune homme s'était relevé, Myrtille eut l'intime conviction que le pantalon allait bientôt rejoindre le haut. Quelle horreur ! Comme s'était-elle mise dans une situation pareille ? En plus, elle n'avait pas l'impression de l'avoir encouragé en ce sens ! Il faudrait vraiment qu'elle se procure un manuel d'usages et coutumes de ce monde, car sinon, elle allait faire d'autres boulettes considérables !

Pour le moment, elle essayait de ne pas poser les yeux sur Siobhan, même si son regard dériva malgré elle sur son torse nu finement dessiné. C'était une sorte de curiosité, elle n'en avait jamais vu... Enfin bref. Elle préféra se composer un visage horrifié (ce qui n'était pas difficile étant donné les circonstances) et se redressa à son tour, mais sur les coudes.

Me laisser reprendre quoi, au juste ? Tu as compris quoi ? s'écria-t-elle d'un ton estomaqué. "Oh, c'est pas vrai, je suis tombée sur le seul paysan pervers de ce monde ! A moins que tous les gens soient comme toi ici, hum ? Il faudrait que je le sache, histoire que j'amène ma bombe lacrymogène la prochaine fois !

Ou ma baguette magique... songea-t-elle avec amertume tandis qu'il revenait vers elle.

"Ah, mais kesketufé ??" hurla-t-elle si fort et si vite que quelques oiseaux s'envolèrent d'un arbre, à quelques mètres d'eux. "Ne m'approche pas ou je mords !"

Elle ramena une nouvelle fois la couverture jusqu'à son nez, le fixant de ses grands yeux paniqués, puis soudain, se releva et s'éloigna de plusieurs mètres, histoire de s'assurer qu'il ne lui saute pas dessus. Elle avait abandonné la couverture qui gisait entre eux, la fourbe responsable de tout ce fatras.

"Je ne sais pas ce que tu as compris, mais euh... je ne suis pas intéressée, d'accord ? J'espère que ça ne t'embête pas..."

Tout en parlant, elle avait avancé les mains en signe de protestation, mais s'immobilisa, les sourcils froncés, en prenant conscience de sa dernière phrase. Mais elle était cloche ou quoi ? Qu'importe si ça l'ennuyait qu'elle n'accepte pas de faire des choses salaces avec lui, elle avait son libre-arbitre dans l'histoire !

En tous cas, avec tout ce qui venait de se passer, elle n'allait pas fermer l'oeil de la nuit ! Elle aurait trop peur qu'il en profite pendant son sommeil. Sait-on jamais ! Légèrement calmée, Myrtille posa les yeux sur Siobhan tout en penchant la tête sur le côté, songeant qu'il n'avait vraiment pas l'air dangereux, et même plutôt sympa... C'était les pires, ces gens-là.

La Rêverie est la Vapeur de la Pensée

Elle espère que ça ne l'embête pas ? Elle venait vraiment de lui dire cela ? Et si ça lui embêtait, elle aurait fait quoi ? Elle se serait laissée faire ? Il ne savait toujours pas d'où venait cette jeune personne, mais deux choses étaient sûres. La première, c'est qu'ils avaient un soucis de compréhension. La seconde, c'était qu'elle était encore plus bizarre qu'il ne le pensait. Quoi qu'il en soit, elle était différente de toutes les personnes qu'il avait connu, et il n'était pas vraiment sûr de vouloir en savoir plus sur elle. Du moins pas pour ce soir. Il était préférable de dormir, histoire de ne plus avoir de soucis de compréhension.

"Je suis bien content que ça vous embête, car à moi aussi ça m'aurait embêté."

Et voilà la réplique qui tue, et qui met fin au malentendu. Car lui non plus n'avait pas envie de passer la nuit avec cette jeune personne. Enfin pas comme il l'avait sous entendu quelques minutes auparavant. Mais dans son monde, on ne vous laissait pas toujours le choix. Enfin sauf quand la personne en face de vous était une jeune femme de seulement quelques années. Car elle se souciait de savoir si ça vous embêter ou non de ne pas le faire...

"Il faut dormir, car demain est un autre jour."

Évidemment. Ça pourrait être quoi d'autre demain ? L'avenir nous le dira...

La rêverie est la vapeur de la pensée.
(Victor Hugo)

Ce type était vraiment bizarre, certainement le plus bizarre qu'elle n'ait jamais vu. Elle resta quelques secondes indécise, se demandant s'il comptait vraiment en rester là ou s'il ne s'agissait pas d'une nouvelle ruse pour revenir à la charge. Constatant qu'il ne bougeait plus, ou plutôt qu'il allait s'allonger contre son drôle de cheval, elle retourna sur le drap et se saisit de la couverture pour s'en recouvrir. Là, elle se tourna vers le jeune homme qui lui tournait le dos, bien décidée à ne pas fermer l'oeil. Qui sait ce qu'il comptait faire pendant qu'elle dormait ! Affolée par cette éventualité, elle ouvrit des yeux ronds comme des billes, même si le sommeil se faisait grandement sentir. Pas question de dormir... Pas question de... dormir...

Cette aventure avait si bien commencé, et voilà que la jeune fille ne souhaitait qu'une seule chose : retourner chez elle. Elle se sentait beaucoup plus en sécurité protégée par de solides murs plutôt que par un gringalet qui avait de drôles de coutumes. Pourtant, ce monde lui paraissait étrangement familier, elle n'avait aucune envie de le quitter... C'était juste un peu trop tôt, elle qui ne sortait jamais, il fallait le temps qu'elle s'habitue au grand air !

Elle ferma les yeux une courte minute, simplement pour songer plus confortablement à sa demeure en Angleterre, si chaleureuse (enfin, surtout sa chambre, car le reste du mobilier avait beau être luxueux, il n'était guère agréable à vivre). Elle se focalisa sur cette idée et se laissa tomber dans une inconscience bienfaitrice, sans s'en rendre compte...

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle n'eut besoin que d'un regard pour se rendre compte qu'elle était de nouveau dans sa chambre, en Angleterre. Elle observa son étagère croulant de livres, sa télévision poussiéreuse, ses vêtements épars sur le sol, et poussa un soupir de contentement. De retour chez soi ! Finalement, tout ceci n'avait été qu'un rêve ! Malgré tout, elle ressentit une petite pointe de déception face à cette réalité, car elle espérait que cet autre monde existait...

Elle resta un moment bien au chaud dans son lit, puis se décida tout de même à affronter la journée. Enfilant ses pantoufles, elle se mit sur ses pieds et étendit le bras pour attraper sa robe de chambre accrochée au mur. Elle jeta un coup d'oeil à son poster du Seigneur des Anneaux tout en la mettant d'un air endormi, mais quelque chose attira alors son attention à la fenêtre. Elle s'approcha d'un bond et lâcha une exclamation perplexe.

Quoi ? Mais...?

Elle resta un court instant médusée, immobile face à ce qu'elle voyait, puis, retrouvant l'usage de ses membres, elle sortit de sa chambre à toute vitesse et dévala l'escalier en trombe, perdant ses chaussons dans sa course folle.

Il y avait un épouvantail dans le champ à côté de la demeure. Un épouvantail humain avec une vampire.

TO BE CONTINUED